La vigueur d’une monnaie ne doit être que le reflet de la bonne santé d’une économie. Et en conséquence, quand une économie traverse une crise économique et financière aiguë, comme c’est le cas de l’Algérie, la valeur de sa monnaie ne peut que se déprécier.
Ainsi, le dinar algérien poursuit, depuis la crise liée à la chute des cours du baril de pétrole en 2014, sa dépréciation vis-à-vis de l’euro et du dollar. On est passé de 78,11 dinars pour 1 dollar en janvier 2014, à 86,99 dinars pour 1 dollar en décembre 2014, puis 107,37 dinars pour 1 dollar en décembre 2015.
La dépréciation s’est poursuivie depuis, dans le sillage de la crise multidimensionnelle –politique, économique et financière- et la chute continue du cours du baril de pétrole. De sorte que, entre le 31 juillet 2015 et le 27 juillet 2020, l’euro s’est apprécié de 38,80% vis-à-vis du dinar algérien et désormais il faut 150,57 dinars algériens pour un euro d'ailleurs introuvable sur le marché bancaire. Rien que sur la période du 27 juillet 2019-27 juillet 2020, la dépréciation est de 12,65%.
A titre de comparaison, le dirham marocain ne s'est déprécié que de 5,77% sur les 5 dernières années par rapport à l'euro.
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Face au dollar, la dépréciation a été de 30,17% durant les cinq dernières années et 8,35% pour les 12 derniers mois. Et désormais, il faut 129,93 dinars algériens pour 1 dollar, également impossible à obtenir auprès des établissements bancaires (cours officiel de ce lundi 27 juillet 2020).
En clair, bien qu’officiellement le dinar n’a pas été dévalué, en pratique, c’est le cas, vu les niveaux de dépréciation enregistrés en l’espace d’une année vis-à-vis de l’euro et du dollar.
Alger a refusé les demandes de la Banque Mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), qui n’ont cessé d'exiger des réformes structurelles et de «dévaluer» le dinar qui, à leurs yeux, est surévalué. Mais les autorités algériennes, ayant dans le rétroviseur les conséquences de la dévaluation de 1994 et prévoyant les conséquences sociales d’une telle solution dans un contexte politique tendu, ont, en réalité, préféré la jouer en douce.
Aussi, tout en disant non au FMI et à son soutien, elles laissent le dinar se déprécier face aux devises étrangères sans crier gare. C’est donc une véritable «dévaluation» qui s’est produite de manière «indolore».
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Et d’ailleurs, on peut dire que, en partie, les dirigeants algériens n’ont pas tort. En ce sens qu’une dévaluation aura peu d’impact sur leur économie qui repose uniquement sur la rente pétrolière. Contrairement à un pays comme l’Egypte, qui a une économie relativement diversifiée et où la dévaluation a produit des effets globalement positifs, celle de l’Algérie repose quasi totalement sur les hydrocarbures, qui représentent plus de 95% des recettes exportations et 60% des ressources budgétaires.
Donc une dévaluation n’aura pas d'effets sur les recettes en devises provenant des exportations pétrolières libellées en dollars. D’autant que leurs volumes obéissent à des quotas de vente imposés par l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). Toutefois, elle va mécaniquement gonfler la contrepartie en monnaie locale et impacter sur les ressources budgétaires. En plus, l'Algérie qui n’attire que très peu de touristes et d’investissements direct étranger (IDE), ne tirera pas vraiment profit de cette dévaluation.
En revanche, une telle décision va entraîner une flambée inflationniste en renchérissant le coût des produits importés, qu’il s’agisse de produits finis, de biens intermédiaires, de biens d’équipements ou de matières premières. Ce qui augmentera les prix et affaiblira davantage le pouvoir d’achat des Algériens qui supporteront les pertes de change.
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Pour rappel, le 10 avril 1994, l’Algérie avait dévalué le dinar de 40,17%, dans le cadre d’une thérapie de choc imposée par le FMI, dans le but de stabiliser les comptes extérieurs et d’enrayer la chute du dinar. En contrepartie, le FMI avait accordé immédiatement une aide d’un milliard de dollars pour redresser son économie dans un contexte social et politique extrêmement tendu.
Une décision qui avait provoqué une flambée inflationniste que les autorités ne souhaitent pas revivre, surtout dans le contexte actuel de crise politique et sociale aiguë que traverse le pays depuis début 2019.
Et d’ailleurs, le ministre des Finances algérien, Aymane Benabderrahmane, dans sa dernière sortie, ne remet pas en cause le choix du gouvernement de laisser le dinar se déprécier face au dollar. Il reconnaît que cette dépréciation est le résultat de la situation économique algérienne. «La valeur réelle de la monnaie nationale réside dans la force de l’économie du pays», souligne-t-il, pour justifier le trend baissier du dinar qui résulterait ainsi de la situation de crise économique que traverse l’Algérie depuis quelques années, particulièrement depuis 2015.
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Une situation qui s’explique par le recul drastique de la liquidité bancaire et surtout de la chute de recettes en devises qui devraient à peine atteindre les 20 milliards de dollars, à cause de la chute du cours du baril de pétrole. Du coup, le solde négatif de la balance de paiement devrait se creuser davantage, cette année, et les réserves en devises s’amenuiser énormément, ce qui devrait encore affaiblir davantage la monnaie algérienne.
Pour remédier à cette situation, au-delà d’une manipulation de la Banque d’Algérie sur les cours afin d’atténuer la dépréciation du dinar, le ministre, qui a écarté le changement de monnaie et d’autres solutions, explique que le seul salut du dinar réside dans le renforcement de l’économie algérienne.
Autrement dit, il faudra bâtir une économie forte, diversifiée et compétitive pour disposer d’une monnaie forte. Tout un programme.
En attendant, le dinar continue de se déprécier vis-à-vis du dollar et de l’euro en atteignant des niveaux record avec 150,57 dinars pour un euro et 129,93 dinars pour un dollar ce lundi 27 juillet en mi-journée. Et au niveau du marché parallèle, devenu le principal baromètre de change du pays, il faut 189 dinars pour un euro et 162 dinars pour un dollar!