Les réactions à Nouakchott sont diverses et contrastées après le départ en exil de l’ex-président gambien Yahya Jammeh, samedi soir 21 janvier, en Guinée équatoriale. Au-delà de la polémique que suscite ce départ suite aux conditions négociées par l’ex-président, les réactions ne se sont pas faites attendre en Mauritanie compte tenu des relations privilégiées entre le président Aziz et Yahya Jammeh, et de l’implication du président mauritanien dans cette crise, lui dont le pays n'est pas membre de la CEDEAO.
Une chose est sûre. Cette «reddition» de l’homme fort de Banjul est d'abord le résultat d’une pression militaire de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) et d’un ultime forcing des présidents Alpha Condé de la Guinée et Mohamed Ould Abdel Aziz de la Mauritanie.
Gambie: Aziz et Condé en mission de la dernière chance à Banjul
Battu à l’issue du scrutin présidentiel, le 1er décembre 2016 par Adama Barrow, le putschiste qui a exercé une dictature féroce sur la Gambie pendant 22 ans est parti pour Malabo (Guinée Equatoriale) après une brève escale à Conakry.
Donnant son appréciation sur l’épilogue de la crise électorale en Gambie, le président Mohamed Ould Abdel Aziz salue l’accord de Banjul comme «une victoire pour la Gambie et pour toute la sous-région». Par ailleurs, il se réjouit «du rôle déterminant jouée par la Mauritanie» dans le dénouement de la crise gambienne.
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Pour sa part, le Pr Lô Gourmo, brillant intellectuel et célèbre opposant, attribue la fin du régime Jammeh à une nouvelle donne liée au processus de maturation de la démocratie, aux «changements en profondeur des opinions publiques africaines, spécialement dans notre sous-région, avec des classes moyennes et des classes moyennes supérieures qui ont proliféré, et qui sont désormais maîtresses dans les villes ou vivent la majorité des populations».
Une nouvelle réalité qui se matérialise à travers une société de plus en plus active. Fini «la tradition de soumission à l’égard des gouvernants, spécialement des despotes», souligne t-il.
Par ailleurs, le vice-président de l’Union des forces de progrès (UFP) égratigne au passage «ceux qui mettent au compte d’un petit hégémonisme sénégalais, le nouvel activisme guerrier de la CEDEAO» estimant que ceux-là «n’ont pas compris grand-chose à la germination de cette nouvelle réalité historique africaine».
Tout en trouvant pertinente l’analyse du Pr Lô, Sidi Aly Ould Ghassem, un cadre, relève que la Mauritanie reste encore en marge de cette évolution générale «avec une pseudo élite qui nous tire vers le bas et nous conduit vers de l’incertain».
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Pour sa part, Sidi Mohamed, cadre de l’Union pour la République (UPR), principal parti de la majorité au pouvoir, apprécie «l’intervention décisive des présidents Condé et Mohamed Ould Abdel Aziz, qui ont passé une nuit blanche et de fermes négociations à Banjul pour contraindre Jammeh à lâcher prise et éviter ainsi la guerre».
Quant à Brahim, un acteur au sein de la société civile, il relève pour sa part qu’en réalité «les seuls arguments qui ont poussé Jammeh à partir sont d’ordre militaire. Car les troupes de la CEDEAO, composées essentiellement de militaires sénégalais, étaient en territoire gambien depuis jeudi, et prêtes à marcher sur Banjul à tout moment pour déloger le dictateur».
Reste à savoir ce que le dictateur a obtenu en contrepartie de son départ loin de la Gambie. Si on se fie à ses proches, Jammeh aurait obtenu la garantie d'une amnistie générale pour lui, ses proches et autres personnalités ayant officié sous son règne. Et l'assurance de ne faire l'objet d’aucune saisie de biens.
Toutefois, ces assertions ont été démenties par Mankeur Ndiaye, ministre des Affaires étrangères du Sénégal, qui explique que «le président Jammeh et son équipe avaient concocté une déclaration pour être endossée par la CEDEAO, les Nations unies et l’Union africaine, qui lui accordait toutes les garanties voire l’impunité. Cette déclaration n’a été signée par personne. Le président Barrow lui-même n’était pas au courant», affirme-t-il avant de s’interroger: «Comment à la place du peuple gambien et du président gambien élu, peut-on accorder des garanties à Yahya Jammeh, y compris l’amnistie?». Affaire à suivre.