Ethiopie: l’Egypte et le Soudan inquiets face au barrage de la Renaissance

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Le 01/03/2017 à 16h46, mis à jour le 01/03/2017 à 16h47

Le grand barrage de la Renaissance que construit l'Ethiopie continue à susciter des inquiétudes en Egypte et au Soudan. Les nouvelles modifications apportées à l'ouvrage pour augmenter sa capacité de production hydroélectrique reposent la question de la gestion des eaux du Nil.

L’ancien président égyptien Mohamed Morsi avait menacé de déclencher une guerre contre l’Ethiopie et de détruire le «Grand barrage de la Renaissance éthiopienne», construit en terre éthiopienne. L’Egypte qui revendique un droit historique sur les eaux du Nil depuis le traité de 1929 signé avec la puissance coloniale, la Grande-Bretagne, redoute en effet que ce grand barrage éthiopien ne réduise considérablement le ruissellement des eaux vers l’aval et entraîne une baisse du niveau du Nil. Une crainte plus que légitime quant on sait que le Nil garantit à l’Egypte sa puissance agricole. 

On comprend de fait que la construction du barrage, actuellement en phase finale, suscite autant d’inquiétudes. Certes, l’Egypte et le Soudan avaient fini par accepter les garanties du gouvernement éthiopien certifiant que toutes les mesures avaient été prises pour garantir le niveau du Nil après la construction. Toutefois, la situation a pris dernièrement une nouvelle tournure après les annonces du gouvernement éthiopien d'augmenter le taux d’électricité généré par le barrage et de modifier les normes de construction du barrage en conséquence.

Ces modifications vont permettre à l’Ethiopie d’accroître la puissance installée de 450 MW supplémentaires. Seulement, si pour les autorités éthiopiennes, ces modifications visant à améliorer la capacité du barrage n’impacteront nullement le débit du fleuve, l’Egypte et le Soudan ne se montrent pas aussi sereins. Les deux pays comptent demander des explications au gouvernement éthiopien concernant le fait qu'ils n'aient pas été informés à l’avance de ces modifications alors que tout projet sur le Nil bleu doit être discuté au préalable par les trois pays. Du coup, la tension est encore montée d’un cran et le Comité international pour le barrage, regroupant les experts des trois pays, se réunira courant mars en Egypte.

Pour comprendre l'inquiétude égyptienne, il faut rappeler les spécificités du Nil. Long de 6.671 km et couvrant une superficie équivalente à plus de 3 millions de km2, il est l’un des plus grands fleuves du monde avec l’Amazonie. Débouchant sur la mer Méditerranée, il a deux sources: le Nil blanc et le Nil bleu. Le Nil blanc prend ses sources au niveau du Lac Victoria (un immense réservoir d’eau douce de 70.000 km2) à la frontière Tanzano-ougando-kenyane, mais aussi auprès de nombreux affluents de la RD Congo, du Rwanda, du Burundi, du Soudan du Sud et du Soudan.

Toutefois, c’est le Nil bleu, qui prend sa source dans le lac de Tana en Ethiopie, avec d’autres affluents éthiopiens, qui contribue le plus à alimenter les eaux du Nil en Egypte en assurant 84% de son contenu en temps normal et jusqu’à 95% lors des saisons de crues.

Par ailleurs, il faut souligner que la gestion des eaux du Nil est un véritable casse-tête pour tous les pays traversés par le fleuve et ses affluents. L’Ethiopie s’était engagée en 1902 auprès des Britanniques à ne pas construire de barrage hydroélectrique sur le Nil bleu sans leur l’accord préalable, l’Egypte étant à cette poque une colonie anglaise.

Le partage des eaux du Nil est géré par un traité conclu en 1929 entre l’Egypte et la Grande-Bretagne, puissance colonisatrice. Ce traité a été revu en 1959, après les indépendances des Etats. Ces accords offrent la part belle à l’Egypte et dans une moindre mesure au Soudan avec des quotas respectifs de 55,5 et 18,5 milliards de m3, soit 87% du total du débit du fleuve calculé à la hauteur d’Assouan, en Haute-Egypte, sachant que plus de 85% de l’eau du Nil provient de l’Ethiopie. Du coup, le gouvernement éthiopien, qui fait face à des sécheresses récurrentes et à un déficit électrique significatif, compte imposer sa vision sur l’exploitation des eaux du Nil.

Ces accords de l’ère coloniale sont décriés par les autres pays traversés par le fleuve depuis les indépendances. Ainsi, l’Ethiopie, l’Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie ont-ils signé un nouvel accord sur le partage des eaux du Nil plus conforme à leurs intérêts, en l’absence de l’Egypte et du Soudan, qui estiment avoir des «droits historiques» sur le Nil et qui refusent tout changement du dernier traité de partage des eaux de 1959.

L’Egypte ne s’est pas contentée de refuser tout changement de quota, elle a lancé une campagne auprès des bailleurs de fonds afin que ceux-ci ne financent aucun projet hydro-électrique sur le fleuve sans leur consentement. D’ailleurs, le barrage de la Renaissance de l’Ethiopie n’a pas obtenu de subsides des bailleurs de fonds. Le gouvernement éthiopien a été obligé de recourir à la population, aux émissions de titres et de dettes pour financer ce projet de plus de 4,8 milliards de dollars. Seule la Chine a apporté une partie du financement nécessaire à l’achat des turbines et des équipements électriques pour un montant de 1,65 milliard de dollars.

Le barrage de la Renaissance dont les travaux ont démarré le 28 mai 2013 avait été conçu pour une capacité 5.250 MW. Toutefois, les améliorations apportées à la centrale ont permis de porter cette capacité à 6.000 MW qui seront augmentés à 6.450 MW grâce aux derniers changements apportés sur les générateurs. Grâce à l’électricité générée, l’Ethiopie qui affiche un déficit électrique important et dont les besoins en électricité augmentent à hauteur de 30% l’an, deviendra un exportateur d’électricité pour un montant annuel de plus de 730 millions d’euros, selon les estimations réalisées avant cette nouvelle extension.

Par Moussa Diop
Le 01/03/2017 à 16h46, mis à jour le 01/03/2017 à 16h47