Depuis 2010, des juges d'instruction français tentent de déterminer si les fortunes de trois familles présidentielles, celles de feu Omar Bongo (Gabon), de Denis Sassou Nguesso (Congo-Brazzaville) et de Teodoro Obiang Nguema (Guinée équatoriale), ont pu être bâties grâce à des deniers publics détournés de ces pays.
Le fils du président équato-guinéen, Teodorin Obiang, doit répondre en juin notamment de blanchiment de détournement de fonds publics devant le tribunal correctionnel à Paris. Des membres de la famille de Denis Sassou Nguesso, 73 ans, dont 32 à la tête du petit Etat forestier et pétrolier du Congo-Brazzaville, pourraient le suivre un jour.
"Le chapitre Sassou Nguesso s'est ouvert plus tardivement car les mécanismes d'externalisation et d'opacification des flux illicites à l'origine des acquisitions de biens en France étaient complexes", commente William Bourdon, président de Sherpa et avocat de Transparency International, deux des associations anticorruption qui avaient porté les premières plaintes en 2007.
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D'où viennent les belles voitures, les propriétés parisiennes et les bijoux ? Les enquêteurs, qui s'appuient sur des signalements de la cellule antiblanchiment du ministère de l'Economie, cherchent à savoir si leur acquisition provient de fonds publics, avec l'aide d'intermédiaires peu scrupuleux et de sociétés offshore aux Îles Vierges Britanniques, à Dubaï ou à Hong Kong.
Un neveu mis en examen
La justice a notamment ciblé une société de droit mauricien, Cipci International, à l'origine d'"achats somptuaires pour le compte de la famille Sassou Nguesso", dont des biens immobiliers, explique à l'AFP une source proche du dossier. Or, les enquêteurs pensent que cette société a reçu plusieurs dizaines de millions d'euros entre 2008 et 2011, "provenant de la direction générale du Trésor" congolais, poursuit cette source.
La justice a déjà saisi plusieurs biens de la famille Sassou Nguesso ou de son entourage entre 2014 et 2016 : une dizaine de voitures de luxe, un studio dans le très sélect XVIe arrondissement de Paris, un triplex dans la riche banlieue de Neuilly-sur-Seine, deux biens immobiliers à Courbevoie (région parisienne), ainsi qu'un ensemble immobilier dans le XVIIe arrondissement de Paris au nom de l'épouse du président, Antoinette Sassou Nguesso, une enseignante à la retraite.
Ils ont aussi saisi la villa Suzette, une demeure de près de 500 mètres carrés dans la banlieue cossue du Vésinet, à l'ouest de Paris. Les enquêteurs suspectent Wilfrid Nguesso, neveu du président, d'en être le propriétaire, dissimulé derrière des sociétés-écran.
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Le 8 mars, "Willy", 51 ans, s'est retrouvé dans le bureau du juge d'instruction Roger Le Loire. Ancien pilote d'hélicoptère pour les plateformes pétrolières, il s'est reconverti après un accident en entrepreneur dans l'import-export, les télécommunications ou l'immobilier. Parmi ses affaires, l'une des sociétés qu'il contrôle, la Socotram (Société congolaise de transports maritimes), est dans le viseur des juges.
Cette société qui perçoit des droits sur le trafic maritime a-t-elle servi à financer des dépenses du clan familial en France?
Sa défense conteste formellement que les sommes perçues proviennent de fonds publics. "Socotram est une société de droit privé dans laquelle l'Etat congolais est actionnaire" à 45%, et son chiffre d'affaires est alimenté par des "redevances" prélevées sur les armateurs et non des taxes collectées au nom de l'Etat, a argumenté le neveu du président congolais lors de son audition, dont l'AFP a eu connaissance.
"Socotram n'est pas une société étatique", a martelé Wilfrid Nguesso. Le magistrat financier l'a mis en examen pour "blanchiment de détournement de fonds publics" entre 2000 et 2011 en France.
C'est la première fois qu'un proche du président Denis Sassou Nguesso est mis en examen. D'autres pourraient suivre. Selon une source proche du dossier, un autre neveu, Edgar Nguesso, était convoqué le 28 février en vue d'une mise en examen, mais il ne s'est pas présenté à ce rendez-vous.