Corruption de Zuma par Thalès: l'avocat de la firme française balance tout

Jacob Zuma, président de l'Afrique du Sud.

Jacob Zuma, président de l'Afrique du Sud. . DR

Le 05/04/2018 à 15h27, mis à jour le 05/04/2018 à 15h34

C'est l'un de ces personnages sulfureux que l'on croise au hasard des pages des romans noirs, au bar d'un grand hôtel. Eminences grises, entremetteurs voire hommes de main, ils naviguent dans l'ombre des puissants, aux frontières de la loi.

Ajay Sooklal est un de ceux-là. Ancien conseil du groupe français d'électronique et de défense Thales, cet avocat s'est retrouvé au coeur du scandale des ventes d'armes qui vaut à Jacob Zuma de comparaître vendredi devant la justice en Afrique du Sud.

L'ex-président sud-africain est accusé d'avoir touché plus de 4 millions de rands (280.000 euros) de pots-de-vin pour protéger les intérêts de Thales, alors menacé de poursuites pour corruption. Interventions diplomatiques au plus haut niveau, pressions politiques, petits arrangements entre parties, Ajay Sooklal a suivi au plus près pendant six ans toutes les péripéties du dossier.

Choqué, dit-il, par l'impunité dont M. Zuma et son ancien client ont bénéficié, il a décidé de rompre le silence. Au bord de la piscine d'un hôtel de Pretoria, Me Sooklal raconte à l'AFP avoir été contacté en septembre 2003 par le directeur de la société Thint - une filiale sud-africaine de Thales, alors Thomson-CSF - un certain Pierre Moynot. "J'étais alors un ami du ministre de la Justice Penuell Maduna", précise-t-il.

Quatre ans plus tôt, le groupe a remporté un contrat de 2,5 milliards de rands (l'équivalent aujourd'hui de 180 millions d'euros) pour l'équipement de navires militaires. Mais très vite, la justice l'a suspecté de corruption.

"M. Moynot m'a dit qu'il ne voulait pas que l'enquête sur Thint se poursuive parce que c'était mauvais pour leurs affaires", raconte l'avocat. "Ils voulaient s'attacher mes services pour voir s'il était possible de faire tomber les accusations. J'ai accepté."

Sa mission semble accomplie en 2009. Les charges retenues contre Thales et Jacob Zuma sont, croit-on alors, définitivement abandonnées. A tort, accuse aujourd'hui Ajay Sooklal. "De 2003 à 2009, j'ai constaté que le groupe Thales était complice de nombreux faits qui justifient les charges qui pèsent à nouveau sur eux et sur Jacob Zuma", affirme-t-il.

"J'ai vu de mes yeux M. Moynot donner de nombreuses fois de l'argent à M. Zuma", poursuit l'avocat, énumérant les "notes d'hôtel payées à Paris ou Bruxelles" ou les "remises de cash". "Ca prouve que les dirigeants de Thales voulaient à tout prix rester dans les bonnes grâces de M. Zuma."

L'avocat de M. Zuma, Michael Hulley, n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP. Son client nie catégoriquement les accusations portées contre lui. Un fax daté de 2000 et versé au dossier révèle en détail le pacte de corruption conclu entre l'industriel et le futur chef de l'Etat sud-africain, à l'époque vice-président du pays.

Un dirigeant de Thales y écrit que le groupe s'est engagé à verser 500.000 rands par an à M. Zuma, via son conseiller financier Schabir Shaik, pour garantir "la protection de Thomson-CSF pendant l'enquête en cours" et "le soutien permanent de JZ (Jacob Zuma) pour les futurs projets".

Ajay Sooklal prétend que ce dirigeant a accepté en avril 2004 de reconnaître la paternité de ce document, crypté, en échange de l'abandon des charges contre Thales. Ce que le parquet a effectivement annoncé en octobre suivant. Le fameux fax a ensuite servi de pièce à conviction lors du procès de Schabir Shaik. Seul accusé, il a été condamné en 2005 à quinze ans de prison pour corruption.

Au détour de son récit, Ajay Sooklal se souvient aussi que "l'affaire" Thales a été suivie de très près à Paris. Le président français Jacques Chirac l'a évoquée directement en 2003 avec son homologue sud-africain Thabo Mbeki, prétend-il. Son successeur Nicolas Sarkozy a fait de même en 2008 avec Jacob Zuma, alors chef du Congrès national africain (ANC, au pouvoir), lors d'une visite officielle en Afrique du Sud.

"J'ai accompagné M. Zuma dans la suite présidentielle de M. Sarkozy à son hôtel du Cap", dit-il. "Le président Sarkozy a laissé entendre qu'il voulait que le parquet renonce aux charges contre Thales. M. Zuma lui a répondu qu'il s'en occupait".

Sollicité par l'AFP, l'entourage de M. Sarkozy n'a pas répondu immédiatement. "Nous ne commentons pas les allégations de M. Ajay Sooklal, avec qui le groupe a été en procès. M. Sooklal a perdu ce procès", a pour sa part répondu à l'AFP le groupe Thales.

L'avocat a effectivement réclamé devant la justice le paiement d'honoraires dus, selon lui, par Thales. Il a été débouté.

Retraité, son ex-salarié Pierre Moynot n'a pu être joint. M. Sooklal est sorti de l'ombre en février en déposant devant un "tribunal populaire" organisé par des militants anticorruption en Afrique du Sud. "La vérité doit être dite", insiste-t-il.

Mais beaucoup s'interrogent sur la motivation de ses révélations. Est-il un lanceur d'alerte ou une "balance" ? "Je ne jurerais pas qu'il n'a rien fait d'illégal", estime Hennie Van Vuuren, patron de l'ONG Open Secrets. "Les lanceurs d'alerte sont compliqués, ils ont leurs raisons de parler, mais il faut reconnaître la valeur et l'importance de leurs informations". Ajay Sooklal n'a pas été cité comme témoin au procès Zuma mais il se dit prêt à déposer. "J'ai une mémoire d'éléphant", glisse-t-il.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 05/04/2018 à 15h27, mis à jour le 05/04/2018 à 15h34