Leurs espérances sont multiples mais certains sujets font l'unanimité, ou presque, sur le lieu du sit-in. Tous demandent une amélioration de leurs conditions de vie, mais beaucoup veulent aussi par exemple un Soudan "débarrassé des islamistes". "Ils ont littéralement détruit le pays", affirme un manifestant.
En 1989, les islamistes ont soutenu le coup d'Etat qui a permis l'accession au pouvoir d'Omar el-Béchir, renversé le 11 avril dernier par l'armée après près de quatre mois d'une contestation populaire inédite, déclenchée par la décision du gouvernement de tripler le prix du pain en décembre.
Ils sont des centaines à déambuler le long du boulevard qui longe le QG de l'armée. L'ambiance est bon enfant. Les effluves de café se mélangent à celle du foul (plat traditionnel soudanais) qui mijote dans de grosses marmites, mais aussi aux odeurs âcres qui proviennent des toilettes improvisées à proximité.
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Interrogés par un journaliste de l'AFP sur ce qu'ils imaginent pour le Soudan post-Béchir, les manifestants, jeunes ou moins jeunes, ne cachent pas leur enthousiasme.
"Nous voulons un pays où les gens compétents accèderont à l'emploi sans passe-droits", lance Mohammed Adel Haï, un étudiant de 22 ans qui dit "camper depuis un mois pour que son rêve ne soit pas trahi".
"Nous voulons un pays (...) dirigé par les civils et non plus par des islamistes", affirme avec force ce futur ingénieur qui n'a connu d'autre régime que celui du président déchu et réclame désormais "une démocratie".
"Il y a maintenant un mélange d'euphorie et de prudence sur l'avenir du pays", analyse le centre de réflexion londonien Chatham House dans une récente étude sur les perspectives d'avenir du Soudan.
Prudence car les tractations entre les leaders de la contestation et le Conseil militaire de transition au pouvoir piétinent.
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Leur succès dépendra selon les experts de la capacité des uns et des autres à formuler des compromis, acceptables pour l'autre camp mais aussi pour la majorité des Soudanais qui aspirent, pour la plupart, simplement à une vie meilleure.
"Le peuple du Soudan veut avant tout qu'on satisfasse ses besoins élémentaires, en matière d'éducation et de santé (...) avec plus de justice sociale", s'enflamme Abou al-Kamel, qui avait 18 ans lorsque Béchir a pris le pouvoir.
"Les islamistes ont littéralement détruit le pays en invitant Oussama ben Laden (fondateur d'Al-Qaïda), ce qui a entraîné les sanctions internationales imposées à notre pays", ajoute cet employé de l'université de Khartoum.
Les Etats-Unis ont levé en octobre 2017 leur embargo commercial sur le Soudan, en vigueur pendant vingt ans, mais maintiennent Khartoum sur la liste des soutiens internationaux du terrorisme. Le pays avait été inclus sur cette liste en raison d'accusations de liens avec des militants islamistes radicaux.
A l'image de nombreux manifestants, Abou al-Kamel fait partie de la classe moyenne dont le pouvoir d'achat a été laminé depuis des décennies.
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Amputé des trois quarts de ses réserves de pétrole depuis l'indépendance du Soudan du Sud en 2011, le pays est confronté à une crise économique et à une grave pénurie de devises étrangères.
"Nous voulons juste manger à notre faim et voir le pays se reconstruire", explique Aïcha, 50 ans, sans donner son nom de famille ni son métier.
Une autre manifestante, Intissar Rabie Mohammed, née en 1975, abonde dans le même sens et espère voir éclore un "Soudan prospère, développé et dynamique".
Les témoignages résonnent avec les slogans de la contestation. "Liberté, paix et justice", les trois mots chantés dans toutes les manifestations, dépassent eux les aspirations économiques.
Privés de débat public, de liberté de la presse -en 2018 le Soudan occupait le 174e rang sur 180 pays du classement mondial de la liberté de la presse de l'ONG Reporters sans frontières-, et empêchés d'exprimer leur intérêt pour la politique sous le régime autoritaire d'Omar el-Béchir, les Soudanais se réapproprient l'espace public et l'investissent à Khartoum dans une ambiance festive
Les plus jeunes s'amusent à mimer avec des caméras et des micros faits de bric et de broc des interviews avec des manifestants qui jouent le jeu et répondent à leurs questions.
"As-tu pillé le pays, opprimé les gens et réduit les libertés ?", demande un prétendu journaliste à un jeune jouant le rôle d'un haut responsable du régime de Béchir.
"Oui", répond ce dernier dans l'hilarité générale.