Afrique du Sud. Portrait des têtes d'affiche du 8 mai: le Sans-principe, le "Blanc" et le Populiste

Cyril Ramaphosa (ANC), Mmusi Maimane (Alliance Démocratique)  et Julius Malema (Economic Freedom Fighters)

Cyril Ramaphosa (ANC), Mmusi Maimane (Alliance Démocratique) et Julius Malema (Economic Freedom Fighters). DR

Le 07/05/2019 à 13h11, mis à jour le 07/05/2019 à 13h14

L'Afrique du Sud vote demain pour élire ses députés au Parlement et ses représentants dans les neuf assemblées provinciales, la conclusion de longs mois de campagne dirigés par les chefs de ses trois principaux partis. Voici un bref portrait de ces trois personnalités qui dominent la vie politique.

Cyril Ramaphosa, du haut de ses 67 ans, est sans doute l'unique ex-syndicaliste qui a eu à demander ouvertement la répression de grévistes.

C'était en 2012 à Marikana dans le nord du pays. Par de longues semaines de grève, des employés avaient bloqué la mine dont l'actuel président était actionnaire. Il s'était alors ouvertement prononcé pour une répression de ce piquet de grève. Le résultat fut comme au temps de l'apartheid. la police avait alors tiré à balles réelles et 34 grévistes avaient été tués. 

C'était pourtant lui, Cyril Ramaphosa qui avait fondé le syndicat des mineurs dans ses années de lutte contre l'apartheid, après avoir fait ses premières armes dans les mouvements étudiants engagés auprès de l'ANC. 

Ses intérêts avant ses principes

Cet épisode suffit à définir l'homme. Il ne défend que ses intérêts, quitte à fouler aux pieds quelques principes et d'ex-compagnons de lutte au passage. Son prédécesseur, Jacob Zuma en sait quelque chose.

En effet, Ramaphosa est l'un des principaux artisans de sa chute. Après avoir remporté les élections des instances de l'ANC en décembre 2017 qui l'ont élu président du parti fondé par Nelson Mandela, il s'est débarrassé de Jacob Zuma a demandant aux députés de l'ANC de le démettre dans une ultime motion de défiance.

Toutes les autres tentatives, avant celle-ci, neuf au total, avaient échoué parce que Ramaphosa n'était pas encore président de l'ANC. 

Zuma tombé, l'ex-syndicaliste prend sa place et devient le cinquième président de l'Afrique du Sud post-apartheid, après Mandela, Thabo Mbeki, Kgalema Motlanthe, et Jacob Zuma bien sûr. 

C'est parce qu'il place ses intérêts en premier qu'il a su profiter des lois post-apartheid favorisant le black empowerment. Ainsi, Ramaphosa siégeait dans le conseil d'administration de Coca-Cola, de Mc Donald's, mais aussi de puissantes entreprises minières, symbole du capitalisme qu'il combattait pourtant en tant que syndicaliste. 

Il allait être le second président sud-africain, puisqu'au début des années 1990, alors qu'il a à peine la quarantaine, c'est lui que Nelson Mandela charge de mener les négocations qui ont conduit à la fin du régime raciste.

Mais en 1999, les caciques de l'ANC lui préfèrent Thabo Mbeki, plus conciliant. Du coup, il a fallu qu'il s'éloigne de la politique pour se lancer dans les affaires dont il savait pouvoir tirer profit grâce à ses solides réseaux. 

C'est en 2014 qu'il revient en politique. Jacob Zuma affaibli par le scandale de sa villa privée de Nkandala rénovée à coup de dizaines de millions de dollars au frais du contribuable, l'appelle à ses côtés.

Il fait de lui son vice-président et Ramaphosa joue le jeu. Il ferme les yeux sur la corruption, sachant qu'il pourra utiliser ces faiblesses de Zuma pour prendre sa place le moment venu. 

Actuellement, il est le favori des élections et devrait sans doute permettre à l'ANC de conserver le pouvoir, même s'il n'est pas blanc comme neige, son entourage non plus. En effet, son fils Andile Ramaphosa a reconnu pas plus tard qu'en mars dernier, qu'il avait été payé par une entreprise engluée dans un vaste scandale de corruption. 

Maimane, le leader du parti de "blancs"

A côté de Ramaphosa, il y a deux jeunes politiciens qui donent à l'ANC du fil à retordre. Le premier est Mmusi MaImane. Agé de 38 ans seulement, est le leader de l'opposition.

Depuis 2015, il est à la tête de la Democratic Alliance (DA, Alliance démocratique), encore considérée comme un parti de la minorité blanche.

S'il est né dans le South-west town de Soweto, comme Ramaphosa son rival d'ailleurs, Maimane qui n'était encore qu'un enfant à la fin de l'apartheid, n'a pas les même référence. Du coup, en 2009, quand il décide de s'engager en politique, c'est le camp d'en face qu'il choisi.

Six ans plus tard, il prend la tête de la DA, une promotion qu'il doit surtout à son éloquence et ses talents de communicateur devant les caméras et les micros de la presse locale et internationale. 

En 2015, après son élection, beaucoup avait prédit la scission du parti, mais le jeune leader a réussi à en préserver l'unité. Mieux, lors des électons locales de 2016, il a réussi à prendre à l'ANC, les emblématiques villes de Johannesburg, Pretoria, mais également de Mandela Bay, Port Elisabeth ou Tshwane. 

Ce chrétien pratiquant est l'un des rares noirs sud-africains à avoir épousé une femme blanche, ce qui fait de lui une curiosité, un quart de siècle après la fin de l'apartheid. 

Malema, le populiste

Une seule quastion se pose. S'il n'a pas réussi à tirer profit des scandales de Jacob Zuma, pourra-t-il faire le poids devant le très stratège Cyril Ramaphosa? Les sondages lui donnent entre 15 et 25% des intentions de vote, pas suffisant pour avoir la majorité au sein du Parlement, mais la progression serait déjà spectaculaire. 

C'est tout le contraire de Julius Malema, agitateur dans l'âme et connu pour être le trubillion de la politique sud-africaine, mais aussi très populiste. Le Maroc a d'ailleurs eu un avant-goût de son discours populiste quand il projetait de réintégrer l'Union africaine. Julius Malema s'était permis de twitter: "Nous ne voulons pas que le Maroc réintègre l'Union africaine. Nul ne les a exclu et ils continuent d'occuper le Sahara occidental". C'est un discours similaire qui lui permet de grapiller dans l'électorat révolutionnaire de l'ANC. 

A la tête des Economic Freedom Fighters (EFF, Combattants de la liberté économique), Malema ne cesse de monter en puissance. Il a su tirer profit de la mauvaise réputation de l'ANC, estampillé comme un parti de corrompus depuis le passage de Zuma à sa tête. 

S'il a choisi d'appeler son parti "Combattants de la liberté économique", c'est parce qu'il sait appuyer là où cela fait mal. 25 ans après la fin de l'apartheid, le chômage est de 27% et 50% des jeunes nés sous la présidence de l'ANC n'ont pas de travail.

De plus, l'Afrique du Sud est le pays le plus inégalitaire du continent, avec 70% des richesses détenus moins de 10% de la population, qui figure parmi les plus riches. Donc la fin de la ségrégation raciale n'a pas permis à des millions de noirs de prendre leur indépendance financière, à l'exception des responsables de l'ANC. 

Rebelle et provocateur, il s'était mis à dos tout l'état-major du parti qu'il accusait de mansuétude à l'égard de la minorité blanche du pays.

Béret rouge sur la tête, le "commandant en chef" des EFF s'est depuis imposé en défenseur autoproclamé de jeunes et de pauvres à ses yeux "oubliés" par l'ANC.

Cependant, ses discours enflamés ont une relent de populisme. Il prône la "révolution" par l'expropriation sans indemnisation des terres toujours largement aux mains des Blancs et la nationalisation des banques et des mines du pays.

Mais même s'il est dénoncé comme outrancier, son discours séduit les jeunes et les déçus du gouvernement de l'ANC qui n'ont guère vu leurs conditions de vie changer depuis l'avènement de la démocratie.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 07/05/2019 à 13h11, mis à jour le 07/05/2019 à 13h14