Si Jacob Zuma n'a pas pu terminer son mandat, c'est parce qu'au sein même de son parti, Cyril Ramaphosa et plusieurs caciques de l'ANC en ont décidé ainsi. Ils l'ont acculé et l'ont poussé à la sortie, à la suite de ses nombreux scandales, tout particulièrement ceux liés à des affaires de corruption.
Mais même si le départ de Zuma avait marqué de profondes divisions au sein du parti, tout le monde espérait qu'après cette tempête, l'ANC allait pouvoir allait recoller les morceaux.
Pourtant, ces les premières semaines, juste après l'élection de Cyril Ramaphosa, commencent à montrer que l'ANC souffre encore de ces divisions qui secouent, une fois encore, le fauteuil du président. Il fait en effet l'objet d'attaques virulentes venant de ses détracteurs.
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Les signes de cette confrontation étaient latents. Bien avant les élections générales, que l’ANC a remportées le 8 mai dernier, le camp populiste de cette formation emblématique filtrait à la presse des déclarations sous couvert de l’anonymat sur les défis qui attendent Ramaphosa en cas de performance décevante lors du scrutin.
En effet, le parti de l’icône Nelson Mandela n’a pas pu faire mieux que 57,5 %, soit sa pire performance depuis les premières élections multiraciales organisées dans le pays au lendemain de la fin de l’apartheid en 1994.
Les choses ont alors commencé à se compliquer pour Ramaphosa qui souhaitait obtenir des urnes un mandat politique clair pour mettre en œuvre son programme de réformes, notamment l’éradication d’une corruption qui semble avoir atteint les plus hautes instances de l’Etat durant les années de l’ancien président Jacob Zuma, désormais taxées de «décennie noire».
La formation du nouveau gouvernement a été le premier défi pour un Ramaphosa visiblement isolé et affaibli. Il lui a fallu 5 jours de tractations ardues pour dévoiler la liste tant attendue de son exécutif. En toile de fond se tramaient les conclusions de la commission de l’intégrité qui examinait une liste de responsables ministrables sur lesquels pesaient de nombreuses interrogations.
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La guerre a fini par gagner le domaine public, avec un échange virulent sur une question fondamentale, à savoir l’indépendance de la Reserve Bank (Banque centrale).
L’aile «conservatrice» au sein de l’ANC, conduite par le secrétaire général Ace Magashule, veut un élargissement du mandat de la Banque pour inclure la redynamisation de la croissance et la promotion de l’emploi. Cette faction veut, dans la foulée, pousser l’institution à recourir à la planche à billets, une option jugée périlleuse pour un pays qui se bat dans une profonde crise économique.
La polémique intervient dans une conjoncture extrêmement difficile. Des chiffres publiés, la semaine dernière, par l’agence officielle des statistiques ont montré que l’économie sud-africaine a reculé de 3,2 pc au premier trimestre de 2019, marquant sa plus forte contraction depuis la crise économique et financière mondiale de 2008/2009.
Cette contraction, qui intervient suite à une croissance de 1,4 pc du Produit intérieur brut (PIB) au dernier trimestre de 2018, est le résultat de la contreperformance de secteurs clés notamment le secteur manufacturier qui a reculé de 8,8 pc.
Pratiquement tous les secteurs de l’activité économique ont enregistré des résultats négatifs, selon les conclusions de l’agence des statistiques.
Cette nouvelle chute témoigne de l’aggravation de la crise économique dans le pays arc-en-ciel, qui souffre d’énormes déficits sociaux dont un chômage affectant près de 28 pc de la population active et une pauvreté touchant plus de la moitié de la population globale (environ 58 millions d’âmes).
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Les analystes politiques estiment que les populistes de l’ANC se retranchent derrière des concepts économiques radicaux. Il s’agit d’une attitude qui risque de précipiter la chute du pays dans une implosion totale, estime l’analyste Max du Preez, qualifiant de «première» dans l’histoire de l’ANC et du pays, la confrontation actuellement engagée entre Ramaphosa et le Secrétaire général du parti.
Pour Dawie Roodt, économiste au cabinet Efficient Group, l’économie déjà fragile «paiera les frais» des divisions qui s’aggravent au sein de l’ANC.
«Ce genre de débat qui fait rage sur des questions centrales risque de saper le pays d’une manière plus grave que les ravages crées par la corruption», indique dans une chronique l’analyste politique Daniel Silke.
Une nouvelle contraction du PIB ne manquera pas de déstabiliser presque la totalité des secteurs économiques très fragiles, indique-t-il, mettant en garde que les efforts visant à réduire les inégalités croissantes et juguler le chômage seront mis en veilleuse au péril d’assister à un retour des bouleversements sociaux.
Dans ce climat de tension, Ramaphosa plaide pour l’unité. «Ce n’est pas le moment de changer de politique», a dit Ramaphosa dans une lettre publiée dans le dernier bulletin d’informations de l’ANC.
Il a appelé à la redynamisation du Plan de Développement National (NDP), une feuille de route élaborée il y a quelques années par le parti au pouvoir pour faire sortir l’Afrique du Sud de sa crise. Le plan prévoit une croissance annuelle de 5 pc pour résorber le chômage à l’horizon 2030.
D’après Ramaphosa, l’unité au sein de l’ANC est cruciale pour reconquérir la confiance du public dans le parti.
Entretemps, c’est cette confiance du public dans la trajectoire d’avenir du pays qui s’ébranle. Sur les réseaux sociaux comme sur les ondes des radios nationales, les Sud-Africains affichent un pessimisme inquiétant face à une incertitude qui ne cesse de prendre de l’ampleur prenant en otage l’avenir de cette jeune nation d’Afrique australe. (MAP)