Il y a encore quelques années, il aurait été difficile de prévoir que la guerre en Libye, déclenchée par la France et l'Italie et entretenue à plusieurs égards par elles, allait tourner à l'avantage absolu de la Turquie et de la Russie. Tournure dramatique pour les anciennes puissances de la vieille Europe, matérialisée par deux incidents qui se sont produits le 10 juin dernier en mer Méditerranée.
Selon l'état-major français, les Turcs sont coupables d'un geste que l'on pourrait comparer au fait d'avoir la main sur la gâchette face à une cible. En effet, les frégates turques ont "illuminé de leur radar" le Courbet, frégate française de la classe Lafayette.
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Un comportement qui a mis dans tous ses états la ministre française des Armées, Florence Parly. "Il ne peut pas y avoir la moindre complaisance vis-à-vis de ce genre de comportement. Cet incident particulièrement grave doit être relevé et nos alliés (de l'OTAN, Ndlr) partagent nos préoccupations. Huit alliés européens, dont des pays majeurs m’ont apporté un clair soutien. Donc, je crois qu’une réflexion est nécessaire sur ce qui est en train de se passer dans l’Alliance. Il faut en effet regarder en face les dérives qui s’y produisent", a-t-elle déclaré hier, jeudi 18 juin.
Selon la version française, le bâtiment devait procéder au contrôle d'un navire battant pavillon tanzanien et qui transportait visiblemement des armes. C'est alors que le Courbet aurait été mis en joue par deux navires turcs.
Évidemment, la version turque diffère au moins sur deux points: sur la cargaison du navire immatriculé en Tanzanie, qui ne serait que des médicaments destinés à la Libye, et sur la menace, qui serait une "accusation infondée".
Finalement, ce grave incident est en train de tourner en une querelle de borne-fontaine qui n'honore pas la France, qui a fait chuter Moammar Kadhafi. Elle ne s'attendait sûrement pas à ce que la Turquie lui vole la vedette, alors qu'elle pensait détenir toutes les cartes en mains.
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Évidemment, la presse turque n'a pas raté les officiels français, qui ont été clairement accusés d'être des mauvais perdants. Ce qui n'est pas tout à fait faux.
Tout ceci montre que la France en particulier, et les Européens en général, sont en train de jouer un rôle de second plan en Libye. Une situation qui est liée aux récentes défaites de Khalifa Haftar, qui été soutenu par la France, quoiqu'elle s'en défende.
Or, ces défaites ont été infligées, non par les troupes fidèles au Gouvernement d'union nationale de Fayez El Serraj, mais par les mercenaires syriens recrutés par la Turquie, qui a également déployé des dizaines de drones dans le ciel de Tripoli.
Aujourd'hui, la voix de la vieille Europe est tellement inaudible en Libye qu'il faut que la France aille se plaindre auprès de ses partenaires de l'OTAN, qui ont décidé d'ouvrir une enquête.
La situation est plus que claire. En Libye, désormais, c'est la Turquie, soutien de Tripoli, et la Russie qui a longtemps porté Haftar, qui décident au premier plan. Viennent ensuite l'Égypte et les Émirats arabes unis qui sont des acteurs internationaux de second plan.
Il est clair que les négociations pour une paix durable se feront sous les parrainages turc et russe, sans doute en écartant le maréchal Khalifa Haftar, dont les partenaires internationaux de l'Est libyen ne veulent plus entendre parler.
Quoi qu'il en soit, la France qui est à l'origine de cette instabilité, n'a presque plus voix au chapitre. La situation en Libye, rappelle à s'y méprendre celle de la Syrie. Les pays occidentaux ont créé un conflit, déstabilisé un pays qui n'a certes jamais été un exemple de démocratie, mais c'est la Turquie et la Russie, qui elles non plus n'en sont pas, qui risquent de gagner la guerre. Une tournure qui fait vraiment réfléchir.