Sur ses 300 hectares, Robert Mphuthi, éleveur noir de 54 ans, a été obligé de diviser par deux son cheptel. "Je n'ai plus que 70 bêtes. Les brebis sont notre principale préoccupation, elles sont facilement embarquées", explique-t-il à l'AFP.
"Maintenant c'est pire, à cause des meurtres. Ils ne prennent pas seulement les bêtes, ils tuent", dit-il. Et les voleurs "se foutent que vous soyez blanc ou noir".
Son voisin à une trentaine de km, Stefan van Huyssteen, un Afrikaner de 68 ans, a aussi drastiquement réduit son bétail. Exaspéré par les vols à répétition dans cette région du Free state, quelque 300 km au sud de Johannesburg, il est passé de 2.300 têtes à 60.
"C'est dur" dit-il, montrant une cabane autrefois utilisée pour la tonte. "Il n'y a pas un seul éleveur dans le coin qui n'a pas été touché" ces dernières années. "Tu ne peux même pas prendre le risque de sortir, la nuit, quand tu soupçonnes qu'on est en train de te voler des brebis".
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Au début du mois, cette région tranquille a été meurtrie par la découverte d'un jeune éleveur blanc, Brendin Horner, attaché à un poteau une corde au cou.
Deux suspects noirs ont été arrêtés, une foule blanche en colère a manifesté bruyamment, mettant le feu à une voiture de police: il n'en a pas fallu davantage pour attiser les tensions raciales, qui affleurent encore facilement 25 ans après la fin de l'apartheid.
"Si t'es pas armé"
Vendredi, les deux suspects de meurtre, dont l'un a été arrêté seize fois pour vol, devaient comparaître. Plusieurs manifestations sont prévues. Julius Malema, leader de la gauche radicale, a annoncé sa venue: "Ces blancs doivent savoir que nous ne sommes pas les enfants par alliance de ce pays. Ici c'est chez nous", a-t-il déclaré jeudi.
La fédération agricole Agri SA a appelé au calme: "N'allumons pas un feu que nous ne pourrons contrôler", a plaidé son président Pierre Vercueil dans un communiqué.
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La violence est un problème récurrent en Afrique du Sud, qui compte 58 homicides par jour. Mais les fermiers, exposés à des attaques croissantes, réclament soutien et attention, multipliant les manifestations.
"La criminalité dépasse largement le cadre de ces communautés rurales", a relativisé mercredi le ministre de la Police, Bheki Cele, au lendemain d'une visite pour tenter d'apaiser la région.
Sur quatre meurtres recensé à Senekal depuis un an, trois victimes sont noires, a-t-il précisé.
"La criminalité n'a pas de couleur, elle cible en fonction de ce qui peut être volé", renchérit Jesse de Klerk, du comité de sécurité local. Mais à la campagne, "tu es beaucoup plus vulnérable. En ville, si tu cries, quelqu'un à 50 mètres peut t'entendre".
Après le démantèlement des milices agricoles qui s'étaient formées à la chute de l'apartheid, le gouvernement avait créé ces comités de sécurité, souvent peu efficaces par manque de ressources.
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Des fermiers, dont certains sont armés, participent ainsi à des patrouilles avec la police. A Senekal, ils ont aussi installé des caméras de surveillance le long des routes principales.
"On vit comme ça maintenant. T'es un imbécile si tu n'es pas armé parce que s'ils viennent t'agresser, ce n'est jamais un type tout seul, ils arrivent à quatre ou à douze", raconte Jesse de Klerk.
D'autres refusent de s'armer. "Ça ne sert à rien. Les agresseurs sont armés aussi alors...", commente Robert Mphuthi.
Dans les campagnes, les victimes de meurtres sont très majoritairement blanches parce que pour des raisons historiques, les propriétaires terriens sont des Blancs, soulignent des experts.