Éthiopie: le Tigré, plus belliqueux que ne le pensait Abiy Ahmed, s'acharne sur ses voisins

Des miliciens de la région Amhara impliqués dans le conflit au Tigré aux côtés des troupes fédérales.

Des miliciens de la région Amhara impliqués dans le conflit au Tigré aux côtés des troupes fédérales.. DR/Reuters

Le 21/11/2020 à 08h24, mis à jour le 21/11/2020 à 09h26

Des roquettes tirées par les forces du Tigré, qui affrontent l'armée fédérale éthiopienne, ont à nouveau visé la région voisine d'Amhara quelques heures après que le gouvernement central a affirmé que ses troupes se rapprochaient de Mekele, capitale de la région dissidente.

Après les tirs de roquettes qui ont touché Asmara, la capaitale érythréenne, c'est à nouveau la région voisine de Amhara qui est visée par ces armes lourdes venant des séparatistes du Tigré. Leur résistance face aux bombardements aériens de l'armée fédérale et leur capacité à contrattaquer démontre une dangerosité que le Premier ministre Abiy Ahmed éthiopien a, peut-être soupçonné.

Prix Nobel de la paix en 2019, Abiy Ahmed a déclenché cette opération contre les forces du Front de libération du Peuple du Tigré (TPLF), les accusant de chercher à déstabiliser le gouvernement fédéral et d'avoir attaqué deux bases militaires éthiopiennes dans la région, ce que nient les autorités tigréennes.

Vendredi vers 01H40 locales (22H40 GMT jeudi), un journaliste de l'AFP à Bahir Dar, capitale de la région Amhara, située à environ 200 km au sud de la frontière du Tigré, a entendu deux fortes explosions, suivies de plusieurs minutes de tirs d'armes automatiques.

Un responsable de la communication de la région Amhara, Gizachew Muluneh, a indiqué à l'AFP vendredi matin que trois roquettes avaient été tirées sur Bahir Dar depuis le Tigré, mais avaient raté leurs cibles.

Deux sont tombées près de l'aéroport et une dans un champ de maïs, a-t-il ajouté, précisant qu'elles n'avaient fait ni victime ni dégâts. Mais les journalistes présents à Bahir Dar n'ont pas été autorisés à accéder aux sites en question.

Les autorités du Tigré - région largement soumise à un black-out depuis le début de l'offensive militaire éthiopienne - n'étaient pas joignables dans l'immédiat.

Dans un communiqué, elles ont en revanche affirmé que l'aviation de "la clique fasciste" du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed avait bombardé jeudi Mekele, blessant "des étudiants de l'Université".

- Région coupée du monde -

Depuis qu'il a lancé cette opération militaire au Tigré, le gouvernement fédéral assure que ses bombardements aériens ne visent que des dépôts d'armes ou carburant et sont menés de façon à éviter les victimes civiles.

Aucune des affirmations de l'un ou l'autre camp ne sont vérifiables de source indépendante, le Tigré étant quasiment coupé du monde.

Le TPLF avait déjà revendiqué le tir le 13 novembre, des roquettes ayant visé alors les aéroports de Bahir Dar et Gondar, autre localité d'Amhara, à une centaine de km plus au nord, utilisés selon lui par les appareils de l'aviation éthiopienne bombardant le Tigré.

Les autorités du Tigré avaient également reconnu avoir tiré le lendemain des roquettes sur Asmara, capitale de l'Erythrée voisine qui borde toute la frontière nord du Tigré, accusant les autorités érythréennes de laisser les forces d'Addis Abeba utiliser son territoire et l'armée érythréenne de leur prêter main-forte dans des combats au Tigré.

De vieux différends territoriaux opposent Amhara et Tigréens et les tensions récurrentes entre les deux communautés ont parfois dégénéré en violences par le passé.

Des milliers de miliciens amhara ont rejoint le Tigré depuis le 4 novembre pour appuyer l'armée fédérale contre le TPLF, selon les autorités régionales amhara.

Les appels à la désescalade de la communauté internationale se multiplient, sans grand résultats.

- Enfants isolés -

Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a déploré que "jusqu'à présent, il n'y a aucun accord des autorités éthiopiennes pour une médiation externe".

"A ce stade, aucune des deux parties, de ce que nous comprenons, n'est intéressée par une médiation", a également souligné le secrétaire d'Etat américain adjoint chargé des Affaires africaines, Tibor Nagy.

L'Union africaine a désigné trois anciens présidents comme envoyés spéciaux en Ethiopie pour tenter une médiation, a annoncé vendredi soir le chef de l'Etat sud-africain Cyril Ramaphosa, qui assure actuellement la présidence tournante de l'UA.

Il s'agit de Joaquim Chissano, ancien président du Mozambique, Ellen Johnson-Sirleaf, ancienne présidente du Liberia, et Kgalema Motlanthe, ex président d'Afrique du Sud.

L'UA n'a toutefois pas précisé à quelle date les trois émissaires seront en mesure de se rendre sur place.

Après avoir dominé durant 15 ans la lutte armée en Ethiopie contre le régime militaro-marxiste du Derg, renversé en 1991, le TPLF a contrôlé d'une main de fer durant près de trois décennies l'appareil politique et sécuritaire du pays, avant d'être progressivement écarté par M. Abiy depuis qu'il est devenu Premier ministre en 2018.

Aucun bilan précis des combats, qui ont fait au moins des centaines de morts depuis le 4 novembre, n'est disponible de source indépendante.

Mais plus de 36.000 Ethiopiens ont fui le Tigré pour se réfugier au Soudan, selon la Commission soudanaise des réfugiés.

Parmi eux, quelque 12.000 enfants - certains sans parents ou proches pour les accompagner - pour lesquels "les conditions (...) sont particulièrement dures", s'inquiète vendredi le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef).

Plus de 200.000 personnes pourraient passer la frontière vers le Soudan dans les prochains jours ou semaines, rappelle sa directrice Henrietta Fore dans un communiqué.

Antonio Guterres a demandé "l'ouverture de corridors humanitaires" pour venir en aide à la population prise au piège des combats.

Par Le360 Afrique (avec Agences)
Le 21/11/2020 à 08h24, mis à jour le 21/11/2020 à 09h26