Génocide au Rwanda: le sort incertain de l'enquête sur l'ex-gendarme de l'Elysée Paul Barril

Des soldats français au côté d'une milice hutu en 1994.

Des soldats français au côté d'une milice hutu en 1994.. DR

Le 23/03/2021 à 08h46, mis à jour le 23/03/2021 à 08h46

La justice française a-t-elle trop tardé? Vingt-sept ans après le génocide des Tutsi au Rwanda, l'état de santé de l'ex-capitaine Paul Barril rend incertaine sa mise en examen, au désespoir des parties civiles qui réclament un procès pour celui qu'elles accusent de complicité du régime génocidaire.

L'ex-gendarme de l'Elysée sous François Mitterrand, reconverti dans les années 1980 dans la sécurité de chefs d'Etat africains, n'a été entendu pour la première fois qu'en mai 2020 par une juge d'instruction du pôle crimes contre l'humanité du tribunal de Paris, après huit ans d'investigations.

L'enquête avait été ouverte après une plainte pour complicité de génocide déposée en 2013 par l'association Survie, la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH) et la Ligue des droits de l'Homme (LDH).

Au cœur des accusations des trois ONG: la présence de Paul Barril au Rwanda en plein génocide et la signature d'un contrat de formation militaire et de conseil le 28 mai 1994 avec le gouvernement intérimaire rwandais (GIR), alors qu'un embargo international avait été imposé par l'ONU.

Derrière ces activités, les associations soupçonnent aussi le président François Mitterrand ou le gouvernement d'Edouard Balladur d'avoir potentiellement utilisé le capitaine Barril au service d'une "stratégie indirecte" de la France pour soutenir le régime rwandais face aux rebelles, une accusation objet de vives controverses depuis plus de vingt-cinq ans.

Paul Barril, qui a eu maille à partir avec la justice dans d'autres affaires comme celles des écoutes de l'Elysée ou des Irlandais de Vincennes au début des années 1980, a contesté avoir signé ce contrat de 3 millions de dollars, partiellement exécuté et payé.

- Expertise graphologique -

Selon des sources concordantes, une expertise graphologique a toutefois conclu en novembre que la signature sur le contrat était bien la sienne.

Les 28 et 29 mai 2020, le septuagénaire, atteint de la maladie de Parkinson, a été interrogé par la juge d'instruction comme "témoin assisté", statut intermédiaire entre simple témoin et mis en examen.

Devant la magistrate, l'ex-numéro 2 du Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) a raconté s'être rendu au Rwanda en mai 1994, avec plusieurs hommes recrutés via sa société Secrets, pour enquêter sur l'attentat contre l'avion du président hutu Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994, à la demande de la veuve de ce dernier, Agathe Kanziga.

Cet attentat a déclenché les massacres au cours desquels environ 800.000 personnes, essentiellement de la minorité tutsi, ont été tuées en trois mois.

Paul Barril a affirmé s'être rendu également au Rwanda pour "faire du renseignement" pour le compte de la France et être reparti en y laissant quatre hommes pour exécuter un "audit des forces spéciales rwandaises". Des photos retrouvées en perquisition chez ses ex-mercenaires les montrent toutefois armés, parfois lourdement, laissant penser qu'ils formaient des militaires rwandais voire combattaient à leurs côtés.

Cinq mois après cette audition, la magistrate a demandé au parquet un réquisitoire supplétif pour élargir ses investigations à des soupçons d'"association de malfaiteurs" en vue de commettre un génocide, une infraction plus simple à poursuivre car elle n'exige que la démonstration d'"actes préparatoires" aux crimes.

Cette nouvelle étape laissait augurer une possible mise en examen de Barril.

Toutefois, un rapport médical est venu doucher les espoirs des parties civiles de le voir un jour jugé aux assises.

Dans une expertise du 22 décembre 2020 dont l'AFP a eu connaissance, le neurologue indique que la maladie du capitaine est "parvenue à son niveau le plus élevé", ce qui ne lui permet "plus de soutenir ni audition ni confrontation".

"Dépérissement"

Pour Me Eric Plouvier, qui défend l'association Survie, c'est ainsi une "pièce de choix" qui disparaît. Depuis le début de l'enquête, l'avocat a déjà réclamé trois fois (2014, 2018 et 2019) l'audition de Paul Barril.

"Les lenteurs de l'instruction constituent non seulement un déni de justice mais aussi une faute lourde du service public de la justice qui n'a pas réalisé les diligences normales, ce qui aurait permis d'éviter un dépérissement des preuves mais aussi des personnes", regrette l'avocat.

"Après tant d’années de latence et d'inertie, il est permis d'espérer que l'instruction reprenne un cours plus actif permettant de faire la lumière sur les agissements et responsabilités de Barril et de son équipe dans le déroulement du génocide au Rwanda", déclarent ses confrères de la FIDH, Mes Patrick Baudouin et Clémence Bectarte.

"Il n'appartient pas aux parties civiles de se constituer en juges", réagit Me Hélène Clamagirand, qui défend Paul Barril, en soulignant que les ONG ont porté plainte des années après le génocide. "On ne peut pas reprocher à une personne déjà âgée à l'époque de subir les affres du temps".

Les investigations ne sont toutefois pas terminées.

Selon une source proche du dossier, plus d'une demi-douzaine de personnes, dont la veuve du président Habyarimana et cinq anciens mercenaires qui avaient accompagné Barril au Rwanda, ont été entendues en novembre et décembre.

Pour l'instant, "la justice s'est arrêtée au plafond de verre que constitue le début d'une entrée dans les sphères du pouvoir" français, regrette Me Plouvier, alors que Paul Barril affirme qu'il tenait informé le sommet de l'Etat de ses activités, via le conseiller de l'Elysée François de Grossouvre (qui s'est suicidé le 7 avril 1994), le général Philippe Rondot ou le ministre de la Coopération d'alors, Michel Roussin.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 23/03/2021 à 08h46, mis à jour le 23/03/2021 à 08h46