Près d'un mois après le départ de Yahya Jammeh de la présidence, son successeur n'a toujours pas pris possession des lieux. Même en exil, Yahya Jammeh continue d'inspirer l'effroi en Gambie, après 22 ans d'un pouvoir aussi implacable qu'imprévisible.
La peur instillée dans toutes les couches de la société par le caractère arbitraire de son régime a brouillé les frontières entre réalité et fiction, alimentant les rumeurs les plus folles, dans un pays où les superstitions sont déjà vivaces.
La semaine dernière, les soldats de la force ouest-africaine chargés d'assurer la protection du nouveau président Adama Barrow, et dont le mandat vient d'être prolongé de trois mois, ont arrêté un ancien militaire armé d'un pistolet dans la mosquée où le président accomplissait la grande prière du vendredi.
L'arme a été découverte pendant la fouille des fidèles par les gendarmes sénégalais, a précisé la force de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), ajoutant que le suspect avait déclaré avoir appartenu à la garde rapprochée de l'ex-président Yahya Jammeh.
Pour des raisons encore inexpliquées, Adama Barrow, rentré en Gambie le 26 janvier, cinq jours après le départ de son prédécesseur vers la Guinée Equatoriale, ne s'est toujours pas installé à la présidence, pourtant passée au peigne fin par les troupes ouest-africaines.
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Le chef de la force de la CEDEAO, le général François Ndiaye, a indiqué le 30 janvier que des armements avaient été saisis dans une maison de Jammeh à Kanilai, son village natal, à une centaine de kilomètres à l'est de la capitale Banjul, mais affirmé que "la sécurité du pays était totalement sous contrôle".
Le général Ndiaye a balayé les rumeurs concernant la présence de produits toxiques dans les climatiseurs de la présidence, précisant que les seules substances chimiques retrouvées étaient des insecticides contre les termites.
Ce n'est pas la première fois que Yahya Jammeh était soupçonné de tentative d'empoisonnement.
En 2009, d'après des témoignages recueillis par l'AFP, des centaines de villageois avaient été contraints de boire des décoctions qui avaient tué plusieurs d'entre eux, lors d'une opération "anti-sorcellerie", Yahya Jammeh imputant le récent décès de sa tante à des pratiques occultes, selon Amnesty International.
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La croyance au surnaturel, notamment aux gris-gris, est très répandue en Gambie. Le chef d'état-major, Ousman Badjie, qui a prêté allégeance au président Barrow après avoir servi son prédécesseur, a ainsi été vu ces derniers mois arborant une dizaine de ces talismans, au cou et aux poignets. "Nous cousons ce gri-gri, et il protège des armes à feu et des couteaux", a expliqué à l'AFP Mohammed Ba, un "faraba", ou fabricant d'amulettes, dans son échoppe de Serrekunda, près de Banjul.
La mort le 15 janvier à Banjul dans des circonstances étranges d'un des jeunes fils de Barrow -qui lui-même avait quitté le pays quelques jours auparavant, la CEDEAO craignant pour sa sécurité tant que Jammeh était en place- a également enflammé l'imagination des Gambiens.
Le chien dont les morsures avaient provoqué le décès de l'enfant a subi une injection mortelle cinq jours après le retour du nouveau président, mais cet épilogue n'a pas totalement fait taire les rumeurs de sorcellerie.
Au-delà de la dimension parfois fantasmagorique des crimes qui lui sont attribués, si Yahya Jammeh reste redouté par de nombreux Gambiens, il le doit surtout aux violations des droits de l'Homme par son régime, assumées publiquement dans son rejet systématique des protestations internationales. "Des gens qui meurent en détention ou pendant un interrogatoire, c'est très commun. Là, une seule personne est morte et ils veulent une enquête", déclarait-il en 2016 à l'hebdomadaire Jeune Afrique au sujet du décès de l'opposant Solo Sandeng, peu après son arrestation en avril.
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Malgré des garanties offertes par la CEDEAO, l'ONU et l'Union africaine quant au respect de ses droits "en tant que citoyen, chef de parti et ancien chef de l'Etat", y compris à revenir en Gambie, Yahya Jammeh n'a pas obtenu d'immunité.
Le président Barrow a exclu toute "chasse aux sorcières", privilégiant la création d'une commission Vérité et Réconciliation et a accepté que Yahya Jammeh emporte tous les biens qu'il souhaitait, y compris sa collection de voitures de luxe.
Mais dans sa coalition, certains souhaitent un jugement de Jammeh, éventuellement devant la Cour pénale internationale. Le nouveau gouvernement vient d'ailleurs d'annoncer qu'il resterait bien membre de cette Cour, revenant sur la décision de retrait, annoncée l'année dernière par Yahya Jammeh.