Cameroun: les ministres tentent de se mettre à la langue de Shakespeare

les revendications tournent autour de l'accès au poste de l'administration ou un refus d'une justice trop francophone.

les revendications tournent autour de l'accès au poste de l'administration ou un refus d'une justice trop francophone. . DR

Le 08/05/2017 à 08h00

Malgré un bilinguisme officiel reconnu par la Constitution, la minorité anglophone se plaint d'être mise à l'écart. Cette frustration a dégénéré en violence en novembre 2016. Une batterie de mesures gouvernementales tente de ramener l'équilibre mais le chemin est long.

L’anecdote a longtemps été commentée parmi les journalistes, habitués des cérémonies officielles organisées par le ministre camerounais des Transports, Edgard Alain Mebe Ngo’o.

Lors de la remise des documents consacrant l’acquisition des aéronefs de marque Boeing précédemment loués par Camair-Co, en avril dernier, le ministre a entamé son discours par un «Ladies and gentlemen…». Aussitôt, une clameur s’est élevée dans le public.

En effet, ce membre du gouvernement -comme bien d’autres- était connu pour ne jamais s’exprimer dans la langue de Shakespeare. Et ce, en dépit de l’insistance des hommes de médias d’obédience anglophone. Certes, Edgard Alain Mebe Ngo’o est très vite revenu au français lors de son intervention publique. Mais le fait d'avoir prononcé ces premiers mots en anglais est significatif.

Comme lui, nombre de ses collègues du gouvernement et de directeurs de sociétés publiques et parapubliques font des efforts pour insérer des phrases en anglais dans leur discours. Et tant pis si, souvent, l’accent de la langue vernaculaire est très prononcé ou si les orateurs s’attirent les quolibets du public pour leur expression approximative.

C’est que, la crise anglophone, du nom des populations originaires des régions du nord-ouest et du sud-ouest du Cameroun est passée par là. Les officiels et les populations «francophones» multiplient les gestes de bonne volonté auprès des anglophones.

Désormais, les discours sont distribués aux journalistes en français et en anglais dans de nombreuses administrations. Dans la ville, les banderoles annonçant des événements culturels ou autres sont rédigées dans les deux langues. Certains fonctionnaires se sont mis à prendre des cours d’anglais, etc.

Le gouvernement camerounais a également multiplié les gestes de bonne volonté. La connexion internet a été rétablie dans les deux régions anglophones, après plus de trois mois d’interruption. Des enseignants issus du sous-système anglophone ont été affectés dans les établissements des deux régions concernées. De nouveaux départements ont été créés dans les facultés de droit pour l’enseignement du «Common law», etc. Mais rien n’y fait. Le malaise persiste.

Jusqu’à ce jour, l’école n’a toujours pas repris dans le nord-ouest du Cameroun. Certains parents envisagent même d’intenter des actions en justice contre certains établissements scolaires, ayant perçu des frais de scolarité, très souvent colossaux.

Les avocats anglophones n’ont toujours pas repris le chemin des palais de justice. «Ils apprécient les mesures annoncées par les pouvoirs publics tout en demeurant sceptiques quant à leur application. Ils considèrent par ailleurs que le gouvernement n’est pas allé assez loin dans la satisfaction de leurs attentes», explique Jackson Ngnie Kamga, bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau du Cameroun, dans un entretien au quotidien gouvernemental.

Celui-ci poursuit, indiquant que ces avocats anglophones attendaient d’une part, que le garde des Sceaux annonce la mise en place d’une commission d’enquête sur les violences qui ont été perpétrées par les forces de l’ordre contre les avocats. D’autre part, ils veulent que leurs confrères en détention soient remis en liberté, ne serait-ce que dans le cadre de mesures de surveillance judiciaire.

La sortie des évêques du Cameroun, le 17 avril dernier appelant à une reprise tous azimuts des activités dans ces régions n’y a rien fait. La situation s’enlise et les Camerounais ne savent plus à quel saint se vouer. Dans la rue, on n’ose plus traiter son prochain de «Bamenda» dans les conversations. Le nom de la capitale régionale du nord-ouest, épicentre de la contestation, était jusqu’ici évoqué pour traiter une personne d’idiote ou la qualifier de naïve…

Par Elisabeth Kouagne (Abidjan, correspondance)
Le 08/05/2017 à 08h00