Afrique du Sud: la justice rouvre un dossier sombre de l'apartheid

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Le 24/06/2017 à 10h35

La justice sud-africaine va ouvrir le dossier d'Ahmed Timol, militant clandestin du Parti communiste (SACP) mort en 1971. Un cas qui risque de faire jurisprudence sachant que de nombreuses familles de victimes attendent toujours la vérité sur les années de plomb de l'apartheid.

C'est un dossier criminel d'un autre temps, dont la vérité a été longtemps sacrifiée sur l'autel de la réconciliation post-apartheid. Près d'un demi-siècle après les faits, la justice sud-africaine va pourtant le rouvrir, au risque de raviver des blessures du passé.

Militant clandestin du Parti communiste (SACP), Ahmed Timol, 30 ans, est arrêté au soir du 22 octobre 1971 à Johannesburg. Après cinq jours de détention il est déclaré mort, victime d'une chute du dixième étage du quartier général de la police.

Le verdict de l'enquête ouverte par les autorités est sans appel. Le militant anti-apartheid s'est suicidé. "Au vu du témoignage, le meurtre est exclu et le seul fait de l'imaginer est ridicule", conclut alors le juge JJL de Villiers, "le défunt a sauté par la fenêtre et s'est écrasé au sol, il serait absurde d'envisager autre chose". Affaire classée.

La famille et les proches d'Ahmed Timol n'ont jamais cru à ces conclusions. A commencer par son frère cadet, qui a lui aussi connu les geôles du régime raciste blanc de l'époque. "Personne ne peut dire s'il a été poussé par la fenêtre ou forcé à sauter, mais j'ai toujours été convaincu qu'Ahmed était mort entre les mains de la police", assure Mohammad Timol.

"Il a été horriblement torturé", renchérit le neveu de la victime, Imtiaz Cajee. "Si vous regardez les photos de son corps, personne ne peut croire à un suicide", ajoute-t-il, "en 1971 (...) tout le monde savait que la police tuait les personnes en détention".

Fort de cette conviction, le neveu s'est mis en tête de faire éclater la vérité sur la mort de son parent. Par tous les moyens.

Tu as prié pour ton oncle?

Pendant des années, Imtiaz Cajee a sollicité les médias, créé une fondation, organisé des expositions, publié un livre et même, avec une ONG, recruté un enquêteur privé. Jusqu'à ce qu'en octobre dernier, le parquet accepte enfin de rouvrir le dossier.

"Il existe des preuves irréfutables qui nécessitent la réouverture de l'enquête dans l'intérêt de la justice", lui a écrit un procureur.

Un magistrat a été chargé de l'affaire et la première audience d'un procès fixée au 26 juin devant un tribunal de Johannesburg. Pour Imtiaz Cajee, c'est l'aboutissement d'un long combat.

"Je n'ai que des souvenirs très flous de mon oncle. Quand il a été tué, je n'avais que 5 ans", raconte-t-il. "Mais je suis beaucoup allé au cimetière avec mes grands-parents. Ma grand-mère me disait toujours +tu as prié pour ton oncle ?+".

En avril 1996, son aïeule raconte la fin d'Ahmed Timol devant la Commission vérité et réconciliation (TRC), qui révèle sur la place publique les horreurs de l'apartheid.

Imtiaz Cajee est bouleversé. "Ce jour-là, j'ai fait le voeu de tout faire pour préserver l'honneur et l'héritage de mon oncle".

Malgré le témoignage très émouvant de sa grand-mère, le dossier retombe dans l'oubli. Comme dans beaucoup d'autres affaires exposées devant la TRC, la justice ne prend pas le relais. Officiellement faute de preuves.

Qu'à cela ne tienne, le neveu refait l'enquête, déterre de vieux documents et, en 2002, soumet une demande de réouverture de l'enquête au parquet national sud-africain. Qui la refuse sèchement quatre ans plus tard.

Donner l'exemple

"Ne pas rouvrir ces dossiers était clairement une décision politique", estime Yasmin Sooka, directrice de la Fondation pour les droits de l'homme (FHR) et ex-membre de la TRC.

Dans les rangs du Congrès national africain (ANC) au pouvoir, on faisait valoir que ces enquêtes pouvaient mettre en cause certains de ses membres, rappelle-t-elle. "Menace ou pas, ça explique la réticence du gouvernement à relancer ces affaires".

Avec l'aide de la FHR, Imtiaz Cajee sollicite à nouveau en 2016 la réouverture de l'affaire, et cette fois l'obtient.

Même si tous les policiers impliqués sont aujourd'hui décédés, il attend beaucoup du procès qui s'annonce. "Le juge de Villiers a écrit qu'Ahmed Timol s'était suicidé, que personne n'était responsable de sa mort. Je veux l'annulation de ces conclusions".

Même un demi-siècle plus tard, certains s'y opposent toujours.

Un groupe d'ex-chefs de la police du régime d'apartheid est ainsi ressorti de l'ombre pour défendre la thèse du suicide. "Les services de sécurité n'avait absolument aucune raison de tuer Timol", a affirmé son porte-parole, JP Botha.

Au-delà du seul cas d'Ahmed, la famille Timol espère que son combat fera jurisprudence. En Afrique du Sud, de nombreuses autres familles de victimes attendent toujours la vérité sur les "années de plomb" de l'apartheid.

"L'absence de poursuites, c'est la trahison des idéaux sur lesquels l'Afrique du Sud nouvelle a été bâtie", souligne Yasmin Sooka, "il est important de rompre avec l'impunité".

"Cela fait quarante-cinq ans mais la justice n'arrive jamais trop tard", croit Mohammad Timol, "elle finit toujours par être rendue".

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 24/06/2017 à 10h35