Début août face à la presse, puis le 23 devant le Conseil de sécurité, Stephen O'Brien, secrétaire général adjoint de l'ONU pour les affaires humanitaires, a mis en garde contre des "signes avant-coureurs de génocide" en Centrafrique, en revenant de ce pays de 4,5 millions d'habitants où les massacres de civils se multiplient depuis quelques mois (Bria, Bangassou, Gambo) malgré la présence de 12.500 Casques bleus.
Aucune autre source aux Nations unies n'a repris ce terme historiquement et juridiquement chargé, 23 ans après le dernier génocide reconnu, le massacre de 800 000 Tutsis au Rwanda en trois mois.
Mais O'Brien s'est justifié lundi dans un entretien au quotidien français Libération: "J’ai senti qu’il était important d’évoquer devant le Conseil de sécurité ces indices émergents, plutôt que d’attendre les preuves. Car si nous attendons les preuves, il sera trop tard".
Il a pris l'exemple des 2.000 musulmans de Bangassou (sud-est) qui "ont trouvé refuge dans l’église catholique de la ville" parce que des miliciens anti-balaka majoritairement chrétiens "les attendaient dehors, dans les arbres ou dans la jungle, pour les tuer".
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"Mais dans d’autres régions de la Centrafrique, les miliciens musulmans de l’ex-Séléka ont pris pour cible des groupes chrétiens", a-t-il ajouté.
Selon la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, le terme désigne un acte "commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux", à partir d'une mise en oeuvre planifiée.
Ont pu être qualifiés de "génocides" par les Nations unies ou la justice internationale le massacre des Arméniens de 1915, l'extermination des juifs et des Tsiganes pendant la deuxième guerre mondiale, l'élimination des Tutsis au Rwanda en 1994 par des extrêmistes hutus et le massacre de 7.000 hommes dans la ville majoritairement musulmane de Srebenica en Bosnie-Herzégovine en 1995.
Risque de 'banalisation'
Une dénomination transposable à la Centrafrique?
"Il revient à l'ONU d'expliquer ce qu'ils entendent par +signes précurseurs+" de génocide. Si signes il y a, ils ne s'appliquent certainement pas à l'ensemble du pays mais à des zones spécifiques", souligne Thierry Vircoulon, chercheur à l'Institut français des relations internationales (IFRI).
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"On n'est pas dans un contexte de génocide mais face à un nettoyage +pluri-ethnique+, dans lequel les populations civiles sont prises pour cibles par des groupes armés, qui les considèrent proches du camp ennemi ou rival", renchérit Nathalia Dukhan, chercheuse à Enough Project et spécialiste de la Centrafrique.
Les violences de masse relèvent, selon elle, de "règlements de compte entre chefs de groupes armés, qui représentent des intérêts politiques et économiques particuliers".
Sans minimiser la violence, les experts estiment que le responsable de l'ONU a utilisé un terme aussi fort pour briser l'indifférence des grandes puissances depuis la fin de l'opération militaire française Sangaris en octobre dernier et alors que le mandat de la Mission des Nations unies (Minusca) doit être renouvelé en novembre.
"Le bilan de trois ans d'intervention onusienne en Centrafrique est un échec. L'utilisation du terme +génocide+ s'apparente à une volonté de convaincre le Conseil de sécurité de la nécessité d'augmenter le nombre de troupes pour protéger les civils", analyse Mme Dukhan.
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Enrica Picco, chercheuse indépendante, estime aussi que l'utilisation du terme génocide sert à "attirer l'attention de la communauté internationale", comme en 2013, quand la France avait avancé que, sans son "opération Sangaris, la Centrafrique serait en situation de génocide", selon le ministre des Affaires étrangères de l'époque.
C'était alors, a ajouté Mmr Picco, "en quelque sorte la dernière carte à jouer pour que les gens s'y intéressent".
"Il y a un risque que les Nations unies banalisent le terme de génocide", s'inquiète Thierry Vircoulon, regrettant que "les grandes puissances du Conseil de sécurité (Etats-Unis, Chine, Russie, Royaume-Uni, France) se désintéressent de plus en plus des +petites guerres africaines+".
Le conflit en Centrafrique a commencé en 2013 avec le renversement de l'ex-président François Bozizé par les rebelles de la Séléka, prétendant défendre la minorité musulmane, ce qui a entraîné la contre-offensive de groupes d'"auto-défense" anti-balaka, majoritairement chrétiens. Les affrontements portent aussi sur le contrôle des ressources naturelles (or, diamants...) dont le pays est riche.