Côte d’Ivoire-Burkina Faso: une histoire faite d’amour et de désamour

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Le 13/12/2016 à 12h17, mis à jour le 13/12/2016 à 15h37

De ses cinq voisins, le Burkina Faso est le pays avec lequel la Côte d’Ivoire entretient les rapports les plus sensibles. Les relations entre les deux pays n’ont en effet jamais été si simples. Impulsé sous l’ère coloniale, l’axe Abidjan-Ouagadougou se construit sur une succession de chaud et froid.

L'histoire des relations tantôt tumultueuses, tantôt faites de grand amour entre le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire a tendance à se répéter. 

Le 29 juillet 2016, les présidents ivoirien et burkinabè se retrouvaient tout sourire à l’occasion du 5e Traité d’amitié et de coopération (TAC) liant les deux pays. Ce cadre d’échanges, initié pour faire table rase d'une longue période de dissensions, s’est tenu de justesse, après la parenthèse de l’affaire des «écoutes téléphoniques» dans le sllage de la dernière tentative de putsch manqué à Ouagadougou. Il s’agit pourtant du dernier développement en date d’une histoire régulièrement mouvementée.

Le rapprochement entre ces deux territoires a été impulsé par la France au moment de la colonisation au début des années 1900, qui y avait vu un intérêt économique . La Côte d’Ivoire recèle des terres fertiles propices à la culture du café et du cacao, deux produts très prisés par la métropole, et plus au nord du territoire, la Haute-Volta (qui deviendra Burkina Faso) dispose elle d’une main d’œuvre réputée travailleuse, d’une grande utilité pour la mise en valeur de ces terres.

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Ce tandem sera repris à leur compte par deux figures politiques de l’époque, Félix Houphouët-Boigny et Ouezzin Coulibaly qui engagent à la fois une lutte commune en vue de l’indépendance des deux territoires.

A l’indépendance, Houphouet-Boigny poursuit la même politique économique axée sur l’agriculture en accueillant à bras ouverts les paysans burkinabè, avec la bénédiction des autorités de cet État qui y trouvaient alors un enjeu économique, pour soutenir l’expansion d’une économie basée sur l’agriculture. Cet intérêt partagé avait été le ferment de rapports de bon voisinage jusqu’à l’irruption d’un certain Thomas Sankara.

Sankara, première pomme de discorde

Le 4 août 1983, le capitaine Thomas Sankara renverse le pouvoir à Ouagadougou. Le jeune officier, aux allures de révolutionnaire, est réputé proche de Moscou et se fait connaître par ses pamphlets contre l’impérialisme occidental. Dans le contexte de guerre froide, le courant passe mal avec un Houphouët-Boigny, proche de la France. Le bras de fer à distance se solde par un coup de force qui renverse Sankara. L’auteur, Blaise Compaoré, est considéré comme le bras armé d’un Houphouet-Boigny. Celui-ci avait entre-temps épousé une Ivoirienne proche de la famille présidentielle à Abidjan où il avait ses entrées. Une première fissure venait remettre en cause des relations qui ne seront plus les mêmes.

Le tournant des années 1990

Quand souffle le vent de la démocratie début 1990, une série de circonstances viendront progressivement installer un mur de méfiance entre les des deux pays. Alassane Ouattara, appelé au chevet d’une économie au bord de la faillite met en œuvre des mesures d’austérité impopulaires. Les critiques fusent de toutes parts au point où ses origines, supposées burkinabè, suscitent déjà la polémique chez une partie de la classe politique.

En outre, affaibli par la fronde sociale, Houphouët-Boigny est accusé de vouloir faire voter des citoyens burkinabè pour assurer sa victore à la première élection présidentielle multipartite. Le spectre d’une volonté hégémonique du Burkina Faso est alors très présent dans une société ivoirienne qui doit supporter le contrecoup de la chute des cours du café et du cacao.

Par ailleurs, dans le contexte de crise économique et de chômage, le retour progressif à la terre d’une jeunesse ivoirienne désoeuvrée accroît la pression foncière dans les zones de production de café et de cacao. Les paysans burkinabè, naguère accueillis en masse pour mettre en valeur les terres agricoles, ne sont alors plus les bienvenus. Les premiers conflits de grande ampleur éclatent au milieu des années 1990, à la mort du premier président ivoirien. Des dizaines de milliers de Burkinabé sont contraints, à la suite de conflits souvent meurtriers avec les populations locales, de rentrer chez eux non sans susciter le courroux des autorités de Ouagadagou. 

Les relations si cordiales réinstaurées depuis l’arrivée de Blaise Compaoré au pouvoir sont plus que jamais en lambeaux. Abidjan ne parvient pas à mettre un terme à la multiplication des conflits fonciers qui conduisent au départs des paysans burkinabè. Ouagadougou pour sa part crie son indignation et dénonce la spoliation de ses citoyens sans avoir pour autant une oreille attentive.

La revanche du Burkina ?

A partir de décembre 1999, le vent tourne. La Côte d’Ivoire enregistre le premier coup d’Etat de son histoire et entre dans une longue période de turbulences.

En 2001, accède au pouvoir un certain Laurent Gbagbo, qui avait bénéficié des largesses de Blaise Compaoré lorsqu’il était dans l’opposition. Le nouveau président hérite de conflits fonciers récurrents d’un pays profondément divisé sur le cas Alassane Ouattara et d’une transition militaire - suite au coup d’Etat de 1999 et la prise de pouvoir par le général Robert Guei - qui a vu des militaires ivoiriens s’exiler au Burkina.

Ces déserteurs lancent sans succès des campagnes de déstabilisation contre Abidjan avant de prendre la tête d’une rébellion en septembre 2002. Au cœur de leurs revendications, des questions politiques internes, mais également la situation des paysans d'origine burkinabè toujours étrangers en Côte d'Ivoire. Ces derniers ont été chassés des terres agricoles dans une Côte d’Ivoire qualifiée de xénophobe. Présents dans le pays en partie bien avant l’indépendance ainsi que leurs progénitures, ces paysans burkinabè n’avaient pu bénéficier de la nationalité ivoirienne et étaient désormais victimes de stigmatisation dans le contexte de raréfaction de terres. Et c’est bien souvent qu’à la suite de conflits avec les populations locales, ils étaient amenés à abandonner leurs plantations et à retrouver vers le Burkina.

Le Burkina tient-il sa revanche ? Accusé de servir de base arrière, de soutenir et d’armer l’insurrection, Ouagadougou se défend sans pour autant jamais convaincre Abidjan qui présente régulièrement des preuves pour étayer ses accusations.

Au bout de quatre ans de crise, et las des différents accords négociés qui n’aboutissent à aucune avancée probante, le pouvoir d’Abidjan se tourne en désespoir de cause vers le Burkina Faso. Blaise Compaoré, pourtant perçu comme le parrain de la rébellion, prend les rênes des négociations et parvient à rassembler les belligérants ivoiriens autour d’un compromis politique, les accords de Ouagadougou, en mars 2007.

Pour consolider cette nouvelle dynamique de rapprochement, les deux pays mettent en place, en juillet 2008, le premier Traité d’amitié et de coopération (TAC). Laurent Gbagbo comparera alors les relations Côte d’Ivoire-Burkina Faso à ce qu’avaient été les rapports entre la France et l’Allemagne de l’avant Seconde guerre mondiale.

Après la crise postélectorale de 2010, s’ouvre une nouvelle ère d’idylle entre les deux capitales, suite à deux décennies de brouille avec à la manœuvre les présidents Alassane Ouattara, Blaise Compaoré et Guillaume Soro. Tout ira pour le meilleur des mondes quand intervient la chute de Blaise Compaoré fin octobre 2014. La Côte d’Ivoire se fait discrète et précautionneuse sur la situation intérieure de son voisin du nord qui, de son côté, craint qu’Abidjan ne cherche à déstabiliser le régime de transition en place.

Des affaires encore en suspens

La tentative de coup d’Etat d’octobre 2015 du général Diendere viendra confirmer ces craintes. Des écoutes téléphoniques mettent en scène Soro Guillaume et des proches de l’ex-président burkinabè à propos de manœuvre visant à compromettre le processus de transition démocratique alors en cours.

L’affaire fait grand bruit, le Burkina Faso ne décolère pas contre son voisin et lance, contre toute attente, un mandat d’arrêt international contre Soro Guillaume, président du Parlement ivoirien, avant de se rétracter. Un rétropédalage qui a eu le mérite de normaliser à nouveau les relations entre les deux pays, laquelle normalisation est actée par la tenue du 5e TAC, en juillet dernier à Yamoussoukro, la capitale politique ivoirienne.

Mais l’horizon n’est pas pour autant dégagé une bonne fois pour toutes. La justice militaire burkinabè a réceptionné les résultats de l’expertise et devrait dicter la suite judiciaire à donner à cette affaire. En outre, réfugié en Côte d’Ivoire avec la bienveillance des autorités, Blaise Compaoré pourrait être une autre pomme de discorde dans le cadre des enquêtes menées par la justice burkinabè sur l’assassinat de Thomas Sankara.

Les deux pays doivent donc encore jouer les équilibristes pour tenter de prolonger la période d’accalmie de ces derniers mois.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 13/12/2016 à 12h17, mis à jour le 13/12/2016 à 15h37