Vendredi 11 novembre 2016. Ce jour-là, 200 adolescents délinquants, surnommés «microbes», sont convoyés à M’Bahiakro, au centre du pays et à 350 km d’Abidjan pour y suivre une formation de «resocialisation» durant 6 mois dans la perspective de faciliter leur insertion sociale. C’est l’option privilégiée par le gouvernement ivoirien pour tenter de juguler un phénomène social qui perdure et qui inspire douleur et consternation chez les Ivoiriens.
T. Ibrahim vit au quartier «Koweït» dans la commune populaire de Yopougon, la plus grande de la capitale ivoirienne. L’œil droit à peine fonctionnel, il rumine sa colère contre ces gamins, mais également contre les autorités qui semblent impuissantes à freiner l’élan de ces «enfants en conflit avec la loi», termes suggérés par le ministère en charge des Droits de l’homme.
«Une bande d’une dizaine de jeunes à peine âgés de 15 à 16 ans est arrivée dans la cour commune. Ils ont fracassé les portes, se sont acharnés sur nous avec une violence inouïe à coups de gourdins et de machettes, avant de nous dépouiller. Ce jour-là, ils se sont rués sur moi et ont manqué de m’arracher l’œil», raconte-t-il. Plus tôt, durant cette même nuit du 3 septembre, des adolescents ont semé la débandade dans une rue proche, blessant mortellement une vendeuse de «poisson braisé» qui n’avait pu assez rapidement prendre ses jambes à son cou à temps.
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Ces histoires se répètent depuis bientôt deux ans sans qu’aucune solution définitive n’ait été trouvée. Au point où pour nombre d’Ivoiriens le gouvernement est bien impuissant, voire débordé par ces hordes de bambins excités et violents.
A ses débuts, ce phénomène inédit avait été perçu comme le fait d’enfants égarés, une convulsion sociale juvénile bien passagère, qui avait pour cadre géographique la commune populaire d’Abobo, au nord d’Abidjan. Mais au fil des mois, l’effet contagion s’est étendu aux autres communes et même à des villes de l’intérieur du pays.
Enfants de la rue? Enfants abandonnés sans repère ayant perdu leurs parents durant la crise postélectorale? Ou gamins manipulés par des mains obscures en quête de gains faciles? Les avis divergent.
«Selon des témoignages, ces gamins sont dans un étant second, particulièrement excités quand ils commettent leurs forfait, ce qui laisse penser qu’ils sont sous l’effet de la drogue et il faut bien quelqu’un, un gourou, pour les organiser et les ravitailler», observe le sociologue Yacouba Coulibaly. Mais la réponse n’est pas tranchée et l’on est dans l’expectative totale vu que même les forces de l’ordre ne parviennent à donner de piste.
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Que fait alors la police? La réplique la plus en vogue, du moins officiellement, est la multiplication des «opérations Epervier», des campagnes de rafles qui s’étendent sur plusieurs jours, avec comme résultats des adolescents présentés aux médias comme des «microbes».
Mais la question que l’on se pose est celle de savoir si la police a les moyens et une réelle volonté de combattre le phénomène. La question reste taboue dans le corps. «On nous dit que ce sont des enfants sur lesquels il ne faut pas tirer dessus. Au pire des cas on ne peut que chercher à les disperser lors de nos interventions, à moins de mettre la main sur eux», concède un sous-officier de police.
«Ils agressent et tuent des pères et mères de famille de façon fortuite et pourtant on nous dit de ne rien faire sous prétexte que ce sont des gamins», se plaint-on en chœur dans les rues d'Abidjan. «La faute aux droits de l’homme», explique un juriste qui avance les critiques qui pourraient fuser contre le pays si l’arme était braquée contre ces adolescents.
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La prison pour mineurs? L’enceinte située a la MACA, la Maison d'arrêt centrale d’Abidjan, est inadaptée et est même considérée comme un lieu d’aguerrissement des jeunes délinquants qui y sont incarcérés.
C’est donc là qu’il faut trouver la motivation du gouvernement qui a choisi l’option de leur donner une formation en vue de les aider à intégrer certains métiers. Une attitude qui, là aussi, a du mal à passer. «C’est une prime au banditisme, voire un encouragement à la délinquance. La pire sanction qu’on peut leur infliger, c’est une formation? Que fait-on de ces jeunes qui se battent honnêtement pour s’en sortir alors? Eux, on ne leur propose rien pourtant...», fustige Kalou Fulgence, un jeune sans emploi.
Depuis le début de l’année, plusieurs vagues de «microbes» ont ainsi été isolées dans des centres de formation, sans pour autant que le phénomène prenne fin. Les jeunes déjà formés ont-ils effectivement tourné le dos à cette voie? Comment faire pour éviter que d’autres gamins n’empruntent la même voie? Le problème reste entier.