Côte d’Ivoire: vente de nouveaux billets de banque, un marché lucratif mais sans visage

DR

Le 01/02/2017 à 15h52, mis à jour le 06/02/2017 à 11h00

Avoir des billets neufs à distribuer pour se donner de l’importance est une attitude bien ancrée dans certains milieux en Côte d’Ivoire. Mais un tel privilège a un coût et profite surtout … au marché noir.

Devant le siège de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) à Abidjan, un commerce florissant est établi depuis plusieurs années: c’est l’échange de nouveaux billets contre des anciens. Un commerce qui rapporte gros, mais dont le principal instigateur n’est jamais connu.

Au Plateau, centre des affaires de la capitale économique ivoirienne, les alentours du siège de la Banque centrale, sont quotidiennement squattés par des silhouettes féminines et masculines. Ces individus, non employés à la BCEAO, disposent de billets de banque neufs à profusion, soigneusement rangés dans des enveloppes kaki. Des billets qui sont objet de transaction.

«Oui, vous voulez échanger des billets?», nous demande celui que nous préférons nommer Sylla, avant de sortir une liasse de billets clinquants en coupure de 1.000 FCFA, 2.000 FCFA ou encore 10.000 FCFA. «Ce sont 10% du montant échangé que nous prenons. Donc pour 30.000 FCFA, on vous prendra seulement 3.000 FCFA», tente de nous convaincre l’homme, la cinquantaine, l’apparence négligée, qui a observé notre présence.

Côte d’Ivoire: dans l’univers des "brouteurs" d’Abidjan

Quelques minutes plus tard, une berline rutilante stationne et, discrètement, sans attirer l’attention, deux «collègues» de Sylla avancent à petits pas calculés vers le véhicule pour proposer leurs billets.

«Il y a certains clients qui disent se sentir plus à l’aise avec les nouveaux billets. Mais on sait que c’est pour se donner un air de boss. D’autres viennent chercher les billets pour les funérailles au cours desquelles ils distribuent l’argent et ça inspire du respect. Cela peut être également pour en faire cadeau à une personne qu’on respecte, aller voir la belle famille ou même pour les dots et les mariages que beaucoup viennent nous voir» explique notre interlocuteur à qui nous exprimons à la fois notre intérêt et notre curiosité. «Certains boss vont dans leur banque pour avoir des billets mais ça peut mettre beaucoup de temps alors qu’ici c’est rapide et pour les bons clients, on peut négocier», note-t-il.

Selon lui, le soir tombé, chaque acteur de ce commerce empoche des centaines de mille de Fcfa comme commission. Mais cette somme ne leur revient pas totalement. Mais à qui d’autre alors? Difficile de répondre à une question qui manifestement agace. «On fait le travail, c’est tout», confie notre interlocuteur. Un travail illicite, effectué en toute quiétude, au nez et à la barbe de la BCEAO, dont certains agents seraient impliqués dans le trafic, disent certains tandis que d'autres évoquent plutôt des responsables des banques commerciales.

Quand Abidjan devient un important centre financier pour le continent

«Et pourtant, on voit que ces jeunes vendeurs qui disposent en permanence de stocks de nouveaux billets ne sont pas des banquiers. En outre, ils ne travaillent pas devant une autre institution que la BCEAO. Pis, ils ne s’écartent jamais de la Banque de plus de 300 mètres», fait constater Adrien N’Goran, fonctionnaire. «Il faut que les gens endossent leurs responsabilités et trouvent un statut à cette pratique qui n’exclut pas la circulation de faux billets. Ou alors on y met un terme», plaide-t-il.

La question avait déjà fait débat. En avril 2010, la Commission des affaires économiques et financières du Parlement ivoirien avait saisi la direction nationale de la BCEAO-Abidjan sur ce curieux trafic à la fois de monnaie et de billets neufs. Une démarche qui visiblement n’a rien changé à ce marché florissant.

Côte d'Ivoire: Sony Music ouvre une franchise à Abidjan

Quatre ans plus tard, soit en août 2014, la BCEAO, dans son ensemble sous-régional, avait pris de nouvelles dispositions en vue de combattre ce phénomène. Là encore, les mesures n’ont eu aucun effet, car trois ans après, la pratique est toujours en cours.

«C’est quelque chose qui rapporte gros et on ne peut pas y mettre aussi simplement un terme. Il faut que les gens comprennent que c’est une activité qui fait vivre des jeunes chômeurs. Ce n’est pas du vol de toute évidence», clame Sylla.

Comment font-ils pour les sommes importantes? «Mon frère, si tu as l’argent viens me voir seulement, il n’y aura pas de problème pour ça. Il y a longtemps qu’on fait ça», rassure Sylla qui affirme pouvoir s’approvisionner «quelque part à côté». Mais où? La question restera sans réponse...

Par Georges Moihet (Abidjan, correspondance)
Le 01/02/2017 à 15h52, mis à jour le 06/02/2017 à 11h00