Réglementation des crypto-monnaies: où en sont les 4 pays africains à taille critique, selon le GAFI

Siège du Groupe d’action financière (GAFI)

Le 10/04/2024 à 09h24

Les actifs virtuels et les services associés représentent des enjeux majeurs en Afrique où certains pays se démarquent par leur réglementation. Certains choisissent l’interdiction, tandis que d’autres adoptent des approches réglementaires variées. Zoom sur les efforts déployés sur le continent pour se conformer à la recommandation 15 du GAFI.

L’Afrique n’est pas épargnée par les risques croissants liés aux actifs virtuels et leurs services associés. Le récent rapport du Groupe d’action financière (GAFI) met en lumière les efforts déployés par les juridictions ayant sur leur territoire une activité de fourniture de services d’actifs virtuels (VASP) d’importance matérielle pour se conformer à la Recommandation 15 sur leur réglementation (voir plus bas). En Afrique, il n’y a que quatre pays éligibles à cette condition. Il s’agit du Nigéria, l’Afrique du Sud, l’Égypte et les Seychelles. Les 50 autres pays du continent n’ont pas encore atteint la taille critique requise pour être pris en compte.

Entendez par actifs virtuels, des représentations numériques de valeur qui peuvent être échangées ou transférées numériquement et utilisées comme moyen de paiement ou d’investissement. Les crypto-monnaies comme le Bitcoin ou l’Ethereum en sont des exemples courants.

Et par services associés aux actifs virtuels, il faut comprendre les services fournis par les fournisseurs de services d’actifs virtuels (VASP - Virtual Asset Service Providers) tels que les échanges de crypto-monnaies qui permettent d’acheter/vendre ces actifs contre des monnaies fiduciaires, les portefeuilles électroniques pour les stocker/transférer, les services de transfert de fonds virtuels, les services de participation, distribution et garde de ces actifs, l’émission d’actifs virtuels nouvellement créés (ICO, IEO, etc.), ou encore tout autre service lié à leur émission, échange, transfert, la garde ou d’autres services financiers relatifs à ces actifs.

Ces services associés représentent des points d’entrée/sortie entre le monde des actifs virtuels et le système financier traditionnel, d’où l’importance de les réguler pour prévenir les risques de blanchiment et de financement du terrorisme.

Qu’entend-t-on par Recommandation 15 ?

La Recommandation 15 du Groupe d’action financière (GAFI) concerne les nouvelles technologies. Elle stipule que les pays doivent identifier et évaluer les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme liés au développement de nouveaux produits et de nouvelles pratiques commerciales, y compris les nouvelles technologies émergentes.

Plus spécifiquement, la Recommandation 15 exige que les pays et tous les acteurs du secteur privé identifient et évaluent les risques ML/FT (de blanchiment d’argent et financement du terrorisme) pouvant découler du développement de nouveaux produits et pratiques commerciales, y compris les nouveaux mécanismes de distribution et l’utilisation de technologies nouvelles ou existantes.

Les institutions financières sont également tenues de prendre des mesures de gestion des risques appropriées, y compris des procédures d’authentification renforcée, afin de gérer et atténuer les risques associés à ces nouveaux produits/technologies. Les pays doivent disposer de mesures appropriées pour gérer les risques relatifs aux technologies favorisant l’anonymat.

Cette recommandation vise ainsi à s’assurer que les risques liés aux innovations technologiques, notamment dans les services financiers et les paiements, soient correctement identifiés, évalués et atténués pour ne pas créer de nouvelles vulnérabilités face au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme.

Des approches contrastées envers les crypto-monnaies

Selon le rapport, le Nigéria et l’Afrique du Sud semblent les plus avancés en termes de réglementation des VASPs parmi les juridictions africaines, tandis que l’Égypte a explicitement interdit leur activité. Les Seychelles sont en phase transitoire d’adoption du cadre réglementaire des VASPs. Plus en détails, l’Égypte a choisi d’interdire explicitement l’utilisation des actifs virtuels et des VASP. Si cette approche restrictive permet d’atténuer les risques, elle prive également le pays des opportunités offertes par ces nouvelles technologies financières. L’Égypte a été évaluée partiellement conforme à la Recommandation 15 en 2021.

Le Nigéria fait figure de pionnier en Afrique, avec une législation exigeant l’enregistrement des VASP et l’application des mesures de lutte contre le blanchiment d’argent. Le processus d’octroi de licences est en cours, témoignant de la volonté des autorités d’encadrer ce secteur émergent. Cependant, le Nigéria n’était que partiellement conforme en 2022, soulignant la nécessité de poursuivre les efforts.

Aux Seychelles, le cadre réglementaire est en développement, avec une interdiction des VASP envisagée. Si des inspections de supervision sont réalisées, aucun VASP n’a encore été agréé. Le pays a été jugé non conforme à la Recommandation 15 en 2020, mettant en évidence les défis à relever.

En la matière, l’Afrique du Sud, membre du GAFI, a franchi des étapes importantes. Une évaluation des risques a été menée, une législation adoptée, et des VASP agréés font l’objet d’inspections. Néanmoins, la règle des transferts d’actifs virtuels (« travel rule ») n’est pas encore appliquée, constituant un point d’amélioration identifié lors de l’évaluation partiellement conforme en 2023.

Si certains pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni et la France affichent des niveaux de conformité plus élevés, avec des cadres réglementaires complets et opérationnels, l’Afrique progresse à son rythme. Les juridictions peinent encore à s’adapter à l’évolution rapide de ce secteur et à mobiliser les ressources nécessaires.

Au-delà des aspects réglementaires, la lutte contre le blanchiment d’argent lié aux actifs virtuels soulève des défis techniques et opérationnels considérables. Le manque de données fiables, la nature décentralisée des actifs virtuels et la complexité des techniques d’investigation rendent ardue la tâche des autorités de contrôle.

Pour relever ces défis, une coopération renforcée entre les pays africains et avec les instances internationales comme le GAFI est cruciale. Un partage accru d’expertise, de bonnes pratiques et d’outils d’analyse permettrait de combler les retards. Par ailleurs, le renforcement des capacités des régulateurs et des corps de contrôle constitue une priorité pour assurer une supervision efficace du secteur des actifs virtuels.

Si les progrès réalisés par certains pays africains sont encourageants, des efforts soutenus restent nécessaires pour garantir une réglementation et une supervision adéquates des VASP, gage d’intégrité du système financier et de protection contre les activités illicites transnationales.

Par Modeste Kouamé
Le 10/04/2024 à 09h24