Transition énergétique: pourquoi la sortie des fossiles est une aubaine pour l’Afrique

La production d'énergies propres encouragée pour faire face au déficit d'électricité.

Le 01/01/2024 à 08h16

Les pays africains producteurs de pétrole et de gaz craignent énormément la transition énergétique, synonyme pour eux de la fin des rentes tirées de l’exploitation des énergies fossiles (pétrole, charbon et gaz). Certains en ont fait un enjeu majeur, défendant bec et ongles toute tentative visant à imposer la fin du recours aux énergies fossiles. Pourtant, l’Afrique est un nain pétrolier et gazier. Mieux, grâce à ses potentialités exceptionnelles de développement des énergies renouvelables (solaire, éolien, géothermie, hydroélectricité…), l’Afrique a tout à gagner de cette transition énergétique dont elle pourrait même devenir la locomotive et qui contribuerait à accélérer son développement grâce à une généralisation de l’électrification du continent. Décryptage.

La transition énergétique est une tendance lourde à laquelle aucun pays ne peut échapper. Au-delà des effets des changements climatiques et des impacts environnementaux, l’épuisement des ressources naturelles et l’abondance des sources d’énergie renouvelable (solaire, éolien, géothermie et hydroélectricité) sont autant de facteurs qui militent en faveur d’une transition énergétique vers des énergies propres et renouvelables.

D’ailleurs, l’abandon des énergies fossiles était au cœur des débats lors de la Conférence des Parties sur les changements climatiques (COP28) qui s’est tenue à Dubaï du 30 novembre au 13 décembre 2023. Un sujet qui a divisé, bien naturellement, les producteurs des énergies fossiles (pétrole, charbon et gaz) et ceux qui souhaitent une transition vers les énergies renouvelables et qui mettent en avant la neutralité carbone.

Si les premiers mettaient l’accent sur «l’élimination progressive des combustibles fossiles», les seconds, tout en appelant à la prise au sérieux des effets du «changement climatique», soulignent, par la voix du secrétaire général de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), Haitham Al-Ghais, qu’«il serait inacceptables que des campagnes aux motivations politiques mettent en danger la prospérité et l’avenir de nos peuples». Et c’est cette prospérité qui est avancée par les pays africains producteurs et futurs producteurs de pétrole et de gaz qui souhaitent tirer profit de cette manne pour lancer les bases de leur industrialisation et la transformation de leurs économies.

Pour les dirigeants des pays africains, les appels à la décarbonisation n’ont pas de sens dans un continent où plus de 600 millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité et où la priorité des populations est d’avoir accès à l’énergie, quelle qu’en soit la nature. D’ailleurs, en 2021, en marge du Forum de coopération sino-africaine (Focac), organisé à Dakar, le président sénégalais, Macky Sall, alors président de l’Union africaine, était monté au front en soulignant qu’«au moment où plusieurs pays africains s’apprêtent à exploiter leurs importantes ressources gazières, l’arrêt des financements de la filière gazière, sous prétexte que le gaz est une énergie fossile, sans tenir compte du fait qu’il est aussi et surtout une énergie propre, porterait un coût fatal à nos économies en quête d’émergence». Une position que les pays africains continuent majoritairement à soutenir.

Dans ces conditions, et avec le potentiel dont regorge le continent, pour l’instant et pour les quelques années à venir, le monde aura encore besoin des énergies fossiles. C’est dire que le pétrole, le gaz et dans une moindre mesure le charbon ont encore de l’avenir devant eux.

D’ailleurs, qu’on ne s’y trompe pas. Même les géants mondiaux du secteur des hydrocarbures, dont certains ont opté pour un virage vert, continuent eux aussi à investir massivement dans les énergies fossiles. Ainsi, si on prend le cas du Nigeria, premier producteur africain de pétrole et qui dispose des plus importantes réserves en gaz du continent, on note un intérêt grandissant des majors européens pour les hydrocarbures du pays depuis l’arrivée du président Bola Tinubu. Au pouvoir Ainsi, après l’annonce de Shell d’un investissement de 6 milliards de dollars dans le secteur gazier, c’est au tour de Total Energie d’annoncer un investissement équivalent dans le secteur des hydrocarbures. C’est dire que les majors pétroliers, bien qu’engagés dans la transition énergétique, comme le démontrent leurs investissements dans les énergies renouvelables et notamment l’hydrogène vert, ne délaissent pas pour autant les énergies fossiles.

Et on comprend également les positions des pays africains nouveaux et anciens producteurs d’hydrocarbures qui se battent bec et ongles pour qu’on ne délaisse pas les énergies fossiles qui sont souvent leurs seules sources de devises. A titre d’exemple, le Nigeria et l’Algérie tirent plus de 90% de leurs recettes d’exportation des hydrocarbures. De nouveaux et futurs producteurs de pétrole et de gaz (Mozambique, Sénégal, Mauritanie,…) misent sur ces ressources pour asseoir les bases de leur développement.

Pourtant, l’Afrique est un nain pétrolier. Le continent représente 12% des réserves mondiales de pétrole et 8% des réserves en gaz prouvées. Toutefois, la part de la production africaine ne cesse de baisser sous l’effet de l’épuisement des gisements d’hydrocarbure et représente à peine 7% de la production mondiale. Et avec 17% de la population mondiale, le continent ne consomme que 3,3% de l’énergie de la planète, ce qui fait que 630 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité et près de 720 millions utilisent la biomasse traditionnelle pour la cuisine dégageant des fumées nocives qui seraient à l’origine, selon l’OMS, de maladies respiratoires touchant particulièrement les femmes et les enfants, et entrainant près de 600.000 décès prématurés par an.

A l’opposé, le continent dispose de ressources énergétiques renouvelables (solaire, éolien hydroélectrique, géotharmie…) exceptionnelles non encore exploitées. Et cette transition énergique peut constituer une véritable opportunité pour le continent. Parmi les atouts dont dispose l’Afrique en la matière figurent, outre le solaire, l’éolien, la biomasse, l’hydroélectricité, et des minéraux comme le lithium, le graphite ou le cobalt qui peuvent être utilisés dans les technologies d’énergie renouvelable: production de panneaux solaires, de batteries pour véhicules électriques, etc.

Pour saisir l’ampleur des opportunités de l’Afrique dans cette transition énergétique, il faut évaluer les potentialités du continent comparativement à sa production énergétique renouvelable.

Le plus grand potentiel énergétique renouvelable et qui est réparti sur toute l’étendue du continent est celui offert par le solaire. Il faut souligner que l’énergie solaire est à elle seule à même de satisfaire les besoins énergétiques mondiaux. Et le continent africain est parmi les mieux nantis en ressources solaires au monde. Il reçoit près de 12 heures d’ensoleillement par jour avec une irradiation comprise entre 4 et 7 kwh/m2/jour. Ainsi, les réserves totales d’énergie solaire théoriquement disponible en Afrique ont été estimées à près de 60 millions de téra watts heure (TWh)/an contre 37,5 millions de TWh/an pour l’Asie (Moyen Orient compris) et seulement 3 millions de TWh/an pour l’Europe.

Pour autant, le continent peine à mobiliser les fonds nécessaires pour exploiter son potentiel renouvelable. Pourtant, l’énergie solaire est neutre pour l’environnement et les coûts d’investissement ont beaucoup baissé au cours de ces dernières années. Grâce à l’ensoleillement du continent et aux technologies qui permettent de stocker l’énergie durant les nuits, l’énergie solaire est bon marché. A ce titre, on peut noter que le coût de l’électricité produite par des mini-réseaux solaires a fortement baissé. Ainsi, les modules photovoltaïques solaires sont 80% moins chers qu’en 2009. Et le coût moyen de production d’électricité est estimé à 0,1 dollar/kwh en 2017, contre 0,36 dollar/kwh en 2010. En Afrique du Sud, le coût le plus bas pour les systèmes photovoltaïques unitaires a été inférieur à 0,075 dollar par kwh, soit l’un des plus compétitifs en Afrique, selon les données IRENA Costing Alliance.

En outre, selon l’AIE, 60% de surfaces de premiers choix pour installer des centrales solaires dans le monde se trouvent en Afrique, un continent qui représente à peine 1% de la puissance globale solaire installée dans le monde. En 2020, plus de 1100 installations solaires produisaient de l’énergie solaire avec une capacité totale de 7,4 gigawatts (GW). A titre de comparaison, les installations photovoltaïques en Allemagne avaient une puissance globale de 58 gigawatts en 2020, soit 8 fois celle de toute l’Afrique, alors que le taux d’ensoleillement de l’Allemagne est très faible, comparativement au continent africain. A noter qu’actuellement, 50% de l’énergie utilisée en Allemagne est d’origine renouvelable.

La situation commence à évoluer, mais lentement. Ainsi, selon les projections, en 2024, selon les projections d’Africa Energy, la capacité solaire installée au niveau du continent devrait atteindre 23 gigawatts, voire plus.

Ce qu’il faut à l’Afrique, c’est une révolution solaire, seule à même d’accélérer l’accès universel à l’électricité à tous les Africains.

En ce qui concerne l’éolien, l’Afrique représente moins de 1% des installations mondiales. Pourtant, le potentiel éolien du continent est colossal avec plus de 59.000 gigawatts (GW), soit l’équivalent de 90 fois de la capacité mondiale actuellement installée. C’est dire que l’éolien constitue une véritable alternative aux énergies fossiles en Afrique. Parmi les pays ayant les plus importantes potentiels de développement d’énergie éolienne figurent l’Algérie, la Mauritanie, le Mali, l’Egypte, la Namibie, l’Afrique du Sud, l’Ethiopie et le Kenya.

Au-delà du solaire et de l’éolien, l’Afrique n’utilise que 5% environ de son potentiel hydroélectrique. Or, le continent recèle environ 10% du potentiel hydro-électrique mondial grâce à ses principaux fleuves: le Congo, le Nil, le Niger, le Zambèze, l’Orange, le Sénégal,… Pour se rendre compte de l’important potentiel hydroélectrique non exploité au niveau du continent, il suffit de mettre en exergue le potentiel colossal du fleuve Congo. En effet, en République Démocratique du Congo (RDC), pays qui recèle presque 50% du potentiel hydroélectrique du continent, les chutes d’Inga constituent un potentiel considérable estimé à plus de 40.000 MW, soit presque le double du plus grand barrage chinois des Trois-Gorges. Ce projet qui tarde à voir le jour pourrait à lui seul approvisionner une grande partie du continent en électricité, sachant que les pays d’Afrique du Nord disposent des taux d’électrification de presque 100%. Actuellement, le seul grand barrage que le continent compte est celui du Grand barrage de la Renaissance éthiopienne (GERD) dont la capacité de production est de 6450 MW.

En ce qui concerne la géothermie, la vapeur d’eau des roches chaudes souterraines convertie en électricité, l’Afrique de l’Est, notamment le sous-sol de la vallée du Rift, région traversée par une faille tectonique qui s’étire sur 3000 km du nord au sud -de l’Erythrée jusqu’au Mozambique, en passant par la région des Grands Lacs- offre un potentiel important du fait que cette région connait une forte activité volcanique avec un magma qui se retrouve relativement proche du sous-sol. Et cette chaleur naturelle du sous-sol peut être exploitée pour produire de l’électricité propre. Moins intermittente que d’autres énergies renouvelables, la géothermie permet aux pays de la région de diversifier leur mlix énergétique.

Toutefois, les centrales géothermies opérationnelles en Afrique sont essentiellement situées au Kenya où 250 MW de capacités sont installées et 280 autres en cours de développement. L’Ethiopie aussi développe ses ressources géothermiques et cible une capacité de 1 GW au cours de la décennie.

Pourtant, le potentiel de la région est estimé entre 10 GW et 15 GW. Et le coût de production est compétitif par rapport aux combustibles fossiles. En plus, cette énergie n’est pas caractérisée par les problèmes de variabilité associés à certaines énergies renouvelables.

En clair, l’Afrique a les potentialités les plus importantes en matière de développement d’énergie renouvelables, et constitue même, grâce à ses ressources naturelles et renouvelables encore non exploitées, une source de solution au problème énergétique mondial.

Seulement, malgré toutes ces potentialités, toutes catégories d’énergies renouvelables confondues, la production d’électricité à partir des énergies renouvelables est négligeable. Les champions africains, en termes de capacités installées, sont l’Afrique du Sud (10.445 MW), l’Egypte (6.322 MW), l’Ethiopie (5.589 MW), l’Angola (4.078 MW) et le Maroc (3.727 MW), selon les données de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena) de 2023. C’est dire que l’Afrique est encore un nain en matière de développement des énergies renouvelables.

Quelques facteurs peuvent contribuer à accélérer la transition vers les énergies vertes en Afrique. D’abord, il y a l’abondance des ressources pour le développement des énergies renouvelables. L’Afrique a les potentialités les plus importantes en matière de développement d’énergie renouvelables, et constitue même, grâce à ses ressources naturelles et renouvelables encore non exploitées, une source de solution au problème énergétique mondial. Ensuite, l’Afrique ne contribue qu’à moins de 4% des émissions à effet de serre mondiales et reste le continent qui subit les plus importantes conséquences du changement climatique, comme en atteste la multiplication des catastrophes naturelles (cyclones, sécheresses, inondations…). Une situation qui doit pousser les dirigeants du continent à s’inscrire encore plus dans cette transition énergétique.

Et tout laisse présager d’importantes évolutions au sein du secteur dans les années à venir. Par ailleurs, la pression démographique et le dynamisme économique du continent doivent pousser à trouver des solutions au problème du déficit énergétique.

Seulement, pour y arriver, il faudra dépasser certains écueils. D’abord, la volonté politique. On a beau crier le problème de financement, celui de la volonté politique est au cœur du problème de développement des énergies renouvelables en Afrique. En effet, les pays africains manquent surtout de vision politique en matière de développement des énergies renouvelables. Il est incompréhensible que des pays africains continuent d’investir dans des centrales thermiques alors que le solaire est une alternative plus viable et propre. Des pays comme le Mali, le Burkina Faso, le Tchad, le Niger et d’autres pays enclavés et ne disposant pas ou que peu d’hydrocarbures alors qu’ils ont de vastes étendues non occupées doivent investir massivement dans les énergies renouvelables. Cela leur permet d’accéder à une énergie propre et moins coûteuse et surtout de ne plus dépendre des importations de ressources fossiles qui grèvent lourdement leurs finances publiques, déséquilibrent leurs balances commerciales et amenuisent leurs réserves de change.

Ensuite, il faut dépasser le problème de financement. Le continent est handicapé par d’énormes problèmes de financement qui freinent le développement des investissements dans les énergies renouvelables. En 2023, à peine 2% de la proportion des investissements dans les énergies renouvelables étaient destinés à l’Afrique, alors que le continent dispose des plus importantes potentialités en énergie renouvelables. Conséquence, l’énorme potentiel de développement des énergies renouvelables en Afrique est inexploité. Le continent a besoin de 277 milliards de dollars par pour atteindre les objectifs climatiques de 2030.

Sur ce point, plusieurs institutions vont désormais contribuer au financement des énergies renouvelables. Ainsi, la Banque mondiale a annoncé un investissement de 5 milliards d’ici la fin de la décennie en Afrique pour permettre à 100 millions d’Africains d’accéder à «une électricité fiable, peu chère et renouvelable».

En outre, en plus de ces institutions, ces centrales éoliennes peuvent se financer via des Partenariats public-privé. Toutefois, il faudra, dans de nombreux pays du continent, faire évoluer les règlementations.

Enfin, afin de ne pas dépendre des technologies importées, il est essentiel que cette transition énergétique s’accompagne d’un transfert technologique. Cela dépendra surtout de la volonté des Etats à investir dans le domaine.

A ce titre, le Nigeria a récemment lancé la construction de ce qui sera la plus grande unité de production de cellules solaires photovoltaïques d’Afrique. Un grand projet d’un investissement d’environ 171 millions de dollars développé par l’Agence nationale nigériane pour les infrastructures scientifiques et techniques (NASENI), en partenariat avec China Great Wall Industry corporation (CGWIC).

Une fois opérationnelle, cette usine permettra au Nigéria de faire face à la demande locale de panneaux solaires et de contribuer à l’ambitieux objectif du pays : installer 10 GW d’énergie solaire à l’horizon 2030.

En plus des panneaux solaires pour lesquels certains pays sont engagé des investissements en vue de les produire localement, de nombreux pays africains souhaitent aussi investir dans le secteur des batteries électriques en s’appuyant sur leurs importantes ressources minérales (cobalt, lithium, graphite, cuivre, manganèse…).

Bref, la transition énergétique est surtout une aubaine pour l’Afrique. C’est au continent de saisir cette opportunité qui pourrait constituer pour elle un véritable accélérateur de sa croissance et un moteur de son développement.

Par Moussa Diop
Le 01/01/2024 à 08h16