Gabon: le Quai d'Orsay n'entend pas faciliter la tâche à Ali Bongo

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Le 29/09/2016 à 10h48, mis à jour le 29/09/2016 à 12h19

Au Bénin, lors de l'investiture de Patrice Talon en avril dernier, seul était présent l'ambassadeur français. L'histoire se répète au Gabon. En Centrafrique, deux poids lourds de Hollande étaient avec Faustin-Archange Touadéra. Quand la France perd des élections africaines, elle le fait savoir.

Même après l'investiture d'Ali Bongo, la diplomatie française ne s’avoue pas vaincue. En coulisses, elle œuvre pour que Jean Ping ne perde pas pied. Hier, mercredi 28 septembre, les ambassadeurs français, américains et de l’Union européenne ont rencontré Jean Ping. L’objectif n’était pas de lui dire d’accepter enfin la décision de la Cour constitutionnelle, mais de "chercher une issue politique". Est-ce une manière de dire à Jean Ping de continuer à maintenir la pression sur un Ali Bongo qui a décidé d’aller vite dans la réconciliation ? Peut-être bien. En tout cas, selon les indiscrétions, lors de cette rencontre avec l’opposition, le message des diplomates a été clair : "en cette phase de débauchage, elle (l’opposition, ndlr) doit persévérer et rester unie", aurait dit une source à la radio française RFI.

Une semaine après la validation de son élection par la Cour constitutionnelle et deux jours après sa prestation de serment, Ali Bongo sait désormais quelles sont les relations du Gabon avec le reste du monde ? Il a reçu les félicitations de plusieurs de ses pairs africains. Le Sénégalais Macky Sall, Paul Biya du Cameroun, Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire de même que Mohammed VI, roi du Maroc, lui ont fait parvenir leurs félicitations. Le Malien Ibrahim Boubacar Keita, Mahamadou Issoufou du Niger, Faure Gnassingbé Eyadema du Togo et Evaristo Carvalho de Sao Tomé et Principe ont choisi d’être présents à son investiture.

Ali Bongo le sait, son élection n’a pas suscité l’engouement ni de la diplomatie française, ni de celle des Etats-Unis. La France n’a été représentée que par son ambassadeur à Libreville, de même que les Etats-Unis. Et ce n’est pas une question d’élection contestée, mais uniquement et malheureusement, de réaction épidermique suite à une perte d’influence.

Chez Talon du Bénin aussi, seul l’Ambassadeur francais y était

En effet, au Bénin, lors de l’investiture de Patrice Talon, c’est encore l’ambassadeur de France qui avait représenté son pays. Le candidat de la France, Lionel Zinsou, l’ex-premier ministre à l’accent parisien, avait perdu face à l’homme d’affaires Patrice Talon. C'est un secret de polichinelle, Lionel Zinsou avait été adoubé par la France qui espérait le voir remporter l'élection présidentielle béninoise. 

Est-ce que l’envoi d’ambassadeur aux cérémonies d’investiture de chefs d’Etat africains est devenu la règle du Quai d’Orsay ? La réponse est non : lors de la prestation de serment de Faustin-Archange Touadéra de la Centrafrique, deux ministres de rang régalien y étaient bel et bien présents. Il s’agit de Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires étrangères et de Jean-Yves Ledrian, ministre de la Défense. La règle est claire : à chaque fois que la France perd des élections africaines, à travers un de ses candidats qu’elle aura adoubés, elle l’a mauvaise. On ne peut pas parler d'élection truquée au Bénin qui est cité en exemple partout en Afrique et dans le monde depuis sa fameuse conférence nationale des années 1990.

Solidarité diplomatique Franco-américaine

Ceux qui suivent la diplomatie américaine sur les anciennes colonies françaises savent que les Etats-Unis ne veulent pas gêner leur partenaire historique français sur ce qui est encore considéré comme son pré carré. Donc, l’attitude étatsunienne n’est rien de plus que du suivisme. Celle de la France par contre est claire. Paris a beau proclamer la fin de la Françafrique, il s’accroche –et quoi de plus normal- à son influence sur les pays francophones d’Afrique. L’Afrique centrale avec son pétrole, ses forêts luxuriantes, ses ressources naturelles de toutes sortes, occupe une place bien particulière dans la diplomatie française. Il faut donc être bien naïf pour penser que la France choisira de se mettre à l’écart et d’observer, comme l’aurait fait le Pérou ou l’Argentine, les élections en cours.

Les intérêts d’abord, la démocratie peut-être ensuite

La France comme tous les Etats dans le monde est d’abord du côté de ses intérêts avant d’être du côté de la démocratie. Sous François Hollande comme sous Sarkozy, sous Chirac, Mitterand, Giscard d’Estaing, Pompidou comme sous De Gaule. Et quand Ali Bongo revendique partout que le Gabon doit diversifier ses partenaires et exiger de ceux qui exploitent ses ressources une plus grande contribution dans le développement du Gabon, cela ne plaît pas au Quai d’Orsay. Certains le voient comme un arrogant. En tout cas moins conciliant que son rival Jean Ping. D’autres le voient purement et simplement comme un ennemi des intérêts de la France. Pire, son attitude, celle d’un jeune président, pourrait faire des vagues. Alors, quoi de normal que de soutenir Jean Ping ?

Sauf que, quand on proclame partout la fin de la Françafrique, on n’a plus qu’une marge de manœuvre ténue. Il ne reste qu’à saluer sa réélection du bout des lèvres par un "nous prenons acte" venu d’abord de Paris et suivi, par solidarité, par Washington.

Ali Bongo a-t-il été plus rusé que Ping ?

Ali Bongo est dans la légalité, puisque son élection a été validée par les Institutions de son pays. A-t-il piégé son rival Jean Ping et la communauté internationale ? C’est possible. Toujours est-il qu’on ne peut l’accuser que d’une chose : de fraude électorale. Et lui en fera de même contre son opposant. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait et la justice de son pays lui a donné raison.

La Cour constitutionnelle gabonaise a accepté d’être assistée par cinq juges constitutionnels africains. Mais pour les pays occidentaux, une observatrice européenne qui n’a pas assisté à l’audition des avocats de Ping et Bongo vaut largement mieux que cinq juges africains qui, eux, ont bel et bien suivi le recomptage.

Un observateur de l’UE contre 5 juges constitutionnels africains

Mariya Gabriel, la chef observateur de l’UE s’est déclaré insatisfaite de la décision de la Cour, mais elle ne dit à aucun moment que ladite décision est anticonstitutionnelle, qu’elle est mal fondée. Elle laisse simplement penser que la Cour n’a pas fait ce qu’elle attendait : invalider les résultats du Haut Ogooué. Il est vrai, que les résultats dans cette province pouvaient être critiqués : 95% pour Bongo avec un taux de participation de 99%. Mais, en justice, l’invraisemblable n’est pas une preuve. Les juges ne peuvent pas se baser sur le caractère bizarre des résultats pour les rejeter. Ils ne peuvent le faire que si d’une part la partie inverse, c’est-à-dire Jean Ping, a servi les preuves de fraudes. D’autre part, il aurait également fallu que ces preuves aient été apportées à temps à la Commission électorale nationale permanente (CENAP).

"Va apprendre à vaincre sans avoir raison"

Dans le célèbre roman de Cheikh Amidou Kane, le personnage La Grande Royale disait à Samba Diallo: "il faut apprendre, chez eux, l'art de vaincre sans avoir raison". Il semble bien que la leçon soit bien apprise par beaucoup d'Africains et c'est ce que les élections gabonaises démontrent. Mais, cela ne plait pas forcément à ceux qui furent maîtres et que viennent de dépasser les élèves dans cet art si discutable.

Aux yeux de la France, Ali Bongo n'a pas la légitimité, mais comme ce sont les institutions de son pays qui ont validé sa victoire, il est impossible de la lui contester. Il reste néanmoins à ne pas s'en réjouir et à continuer à soutenir le malheureux candidat Jean Ping. 

Ali Bongo sait désormais que ce ne sont pas les diplomates français qui lui faciliteront la tâche pour rassembler le pays autour de lui. L’objectif de continuer à diviser le Gabon est évident.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 29/09/2016 à 10h48, mis à jour le 29/09/2016 à 12h19