"On nous dit que le kevazingo n'est plus coupé, mais nous voyons des camions chargés de kevazingo quitter la forêt pour aller à la capitale Libreville", s'étonne Martial, 54 ans, un habitant d'Oyem, capitale de la région du Woleu-Ntem (nord). Il s'agit de "bois saisi ou abandonné, donc l'Etat le récupère en l'acheminant à Libreville", assure le directeur provincial des Eaux et Forêts de la région du Woleu Ntem (nord), Philippe Ongouli.
Une fois arrivées dans une zone économique spéciale proche de la capitale, les grumes de kevazingo sont valorisées par des entreprises asiatiques. Celles-ci les transforment en mobilier pour le marché international, explique Kumar Mohan, responsable de la gestion de la chaîne logistique de la compagnie Gsez (Gabon special economic zone).
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La compagnie Gsez, un partenariat public-privé entre l'Etat et l'entreprise singapourienne Olam, est devenue l'intermédiaire de l'Etat dans la récupération des bois saisis ou abandonnés. La Gsez gagne 50.000 FCFA (76 euros) par m3, selon M. Mohan. L'Etat obtient, lui, 25% du prix d'une grume, selon le Directeur général des Eaux et forêts, Simplice Nteme.
Le prix d'un m3 de ce bois précieux varie en fonction de sa qualité entre 400.000 FCFA (environ 610 euros) et 1,2 million de FCFA (1.800 euros), de sources concordantes. Des entrepreneurs gabonais profitent aussi de la valorisation du kevazingo, chargés de repérer puis d'amener le bois abandonné ou saisi vers un lieu de stockage où il sera récupéré par la Gsez.
Ces entrepreneurs, regroupés au sein de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises et industries (Cgpmei) ou du Collectif des forestiers et industriels gabonais (Cofiga), disent recevoir 30% sur le m3. Avec cet argent, ils payent entre autres le villageois qui a identifié le kevazingo à hauteur de 60.000 FCFA (90 euros) à 70.000 FCFA (100 euros) par m3. Légalement, le kevazingo appartient pourtant à l'Etat.
Coupes clandestines
Avant le partenariat avec la Gsez, l'entrepreneur gabonais Emmanuel Nzue, président de la Cgpmei, revendait directement le kevazingo à des exploitants asiatiques, qui le payaient "en cash".
Et "plus il y avait une forte demande internationale, plus on faisait des coupes illégales", se souvient-il. Désormais, il explique que son activité repose sur la récupération du bois illégalement coupé, une activité légale mais qui inquiète les ONG environnementales.
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Officiellement, le kevazingo désormais évacué a soit été "saisi" par l'administration, suite à une infraction, soit été "abandonné", c'est-à-dire est resté six mois au sol après abattage. "Qui peut couper un kevazingo et l'abandonner?", s'étonne Marc Ona, président de l'ONG gabonaise Brainforest. Pour lui, "tant que le kevazingo saisi ou abandonné sera valorisé, il y aura toujours des gens qui vont couper du bois illégalement pour avoir un bénéfice".
"Nous avons remarqué depuis des années de travail que certains exploitants ou même des villageois, parfois avec d'autres complicités, coupent du bois illégalement puis le récupèrent six mois après comme bois abandonné. Donc c'est un système de blanchiment de bois illégal, et le bois récupéré est d'origine illégale", dit Luc Mathot, le président de Conservation Justice, qui lutte contre le trafic de bois et le braconnage au Gabon.
Depuis mars, aucune nouvelle coupe de kevazingo n'a officiellement été constatée par l'administration des Eaux et Forêts. Et M. Nteme l'assure, "au plus tard en décembre, tout le kevazingo (au sol) devrait être évacué, et ce sera terminé".