Avec une population d'environ 2 millions d'habitants seulement, dont près d'un tiers composée de communautés venues d'ailleurs, le Gabon s’est forgé, parmi différents pays d’Afrique centrale, une réputation de terre d'accueil et d'hospitalité, même au-delà de ses frontières.
Pour les besoins de sa construction et de son développement, ce pays, riche en pétrole et d'autres ressources naturelles, a donc fait très tôt appel à une main d'œuvre étrangère.
C’est en effet dès 1974, lors du premier boom pétrolier, que les premiers migrants, dont, surtout des Sénégalais, ont immigré au Gabon.
Yaya Samba, originaire de M'bour, au Sénégal, fait partie de ceux-ci. Aujourd’hui âgé de 77 ans, dont 45 années passés dans le quartier de Lalala Dakar, à Libreville, il avait répondu à un appel d'offre sous contrat avec une grande société française de BTP.
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Yaya Samba témoigne, pour Le360 Afrique, de son arrivée au Gabon: «je suis venu le 21 mai 1976 par le vol d’Air Zaïre (ex-RDC). Je suis arrivé aux environs de 20 heures 30 avec un contrat de Socoba. Depuis que je suis là, je n'ai jamais eu de problèmes. J'ai été recruté depuis Dakar par un Européen, qui travaillait déjà avec moi au Sénégal. En tout cas, moi, je vis bien en Afrique. Quand je jouais au ballon, j'ai eu plusieurs occasions d'aller en Europe… Mais j'ai toujours renoncé, car je gagne bien ma vie ici. Avec ce que je gagne, j'ai investi et j'ai aussi acheté des maisons…».
Tout, dans sa demeure, de Lalala Dakar, rappelle son pays natal, le Sénégal, celle-ci se trouve bien au cœur de Libreville. Yaya Samba explique que cette appellation «vient des dhikr [invocations du prophète de l’islam, Ndlr] que les premiers Sénégalais habitant le quartier faisaient souvent. Et c’est "Laa ilaaha illa Allah" [la profession de foi musulmane] qui aurait donné ce nom» à ce quartier de la capitale gabonaise.
Pour les habitants de Lalala Dakar, la cohabitation avec d’autres communautés étrangères dans ce quartier, et tout particulièrement avec les Sénégalais se déroule paisiblement, assure Patrick Mba.
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Ce quadragénaire, qui habite lui aussi ce quartier, explique que les différentes communautés vivent «ensemble». Et de témoigner: «nous partageons leur fête pendant le ramadan et pendant Noël aussi, ils partagent notre fête. De temps en temps, on peut se chamailler, mais on se remet très vite ensemble. Il y a eu aussi des mariages mixtes entre les Sénégalais et les Gabonais. En Afrique, on peut aller partout sur le continent et s'en sortir».
Patrick Mba a cette conclusion, qu’il tire de son expérience personnelle: «on est pas obligé d'aller en Europe pour avoir de l'argent».
Et pour le journaliste et historien Louis-Philippe Mbadinga, «la réalité des migrations africaines se joue de plus en plus dans le continent lui-même, avec autant de vagues d’immigration et de contextes de départ ou d’arrivée».
«Le Gabon l'a expérimenté et peut se réjouir d'avoir appris du savoir-faire des Ouest-Africains et des ressortissants de pays voisins dans les activités socio-économiques», explique-t-il.
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Selon ce fin connaisseur des migrations intra-africaines, «on peut se souvenir de Omar Bongo [feu le président du Gabon, de 1967 à 2009, date de son décès, Ndlr] qui disait que quand un étranger t'apporte sa force de travail, apporte-lui en retour ton amitié»...
Pour Louis-Philippe Mbadinga, en effet, «en réalité, toute la micro-économie gabonaise a été pendant longtemps tenue par les étrangers. C'est vrai que dans les années 50, il y avait une agriculture gabonaise. Mais au cours de la période du boom pétrolier, le Gabon a cessé de produire véritablement, ce qui fait que les Camerounais ont pris le relais, et le Gabon en a bénéficié».
Cet historien affirme que «c’est au contact de ces populations ouest-africaines et camerounaises que les Gabonais ont commencé à se démarquer de la bureaucratie pour se lancer des activités génératrices de revenus. C'est le cas de ces femmes gabonaises qui vendent des produits dans le plus grand marché de Libreville, Mont Bouet».
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Les migrations intra-africaines ne sont donc certainement pas neuves. Un taux l’atteste: selon l’Office International des Migrations (OIM), plus de 80% des migrants du continent se rendent aujourd’hui dans un autre pays subsaharien.
Il faut donc reconnaître que la médiatisation toute récente de migrants d’origine subsaharienne traversant la mer Méditerranée, sur des bateaux surchargés, donne une image vraiment tronquée de l’immense majorité des migrants d’Afrique, qui restent sur leur continent.