Guinée: face à la montée de la tension, le pouvoir réquisitionne l'armée

Des forces de police patrouillant à Conakry, armes en mains.

Des forces de police patrouillant à Conakry, armes en mains. . JOHN WESSELS / AFP

Le 24/10/2020 à 09h44

La tension est encore montée d'un cran vendredi en Guinée, tuant au moins cinq personnes de plus malgré le tour de vis donné par le pouvoir dans l'attente des résultats officiels et finaux de la présidentielle, qui devraient créditer le sortant Alpha Condé de la majorité absolue dès le premier tour.

Le challenger d'Alpha Condé, Cellou Dalein Diallo, a dit à l'AFP qu'il était "hors de question" de reconnaître les résultats annoncés par l'organe chargé des élections.

Les autorités ont réquisitionné l'armée tandis que de nouveaux affrontements entre jeunes supporteurs de M. Diallo et forces de sécurité étaient rapportés à Conakry et en province.

Un photographe de l'AFP a vu une trentaine de pick-ups chargés de soldats remonter l'axe menant du centre de la capitale aux quartiers périphériques qui sont les foyers de la violence et de la contestation depuis des mois.

Cinq personnes, trois gendarmes, un soldat et un civil, ont été tuées dans des circonstances encore confuses à la suite de l'attaque d'un train transportant du fioul dans le quartier de Sonfonia, a dit un responsable gouvernemental.

Dans la banlieue de Conakry, des jeunes en shorts, tee-shirts et tongs ont continué à défier à coups de cailloux des policiers ou des gendarmes en tenue anti-émeute, dans des rues coupées par des lampadaires abattus ou des feux, et jonchées de projectiles, ont constaté les journalistes de l'AFP.

Avant vendredi, les autorités faisaient état d'une dizaine de morts depuis dimanche, le camp de M. Diallo parlant de 27 morts.

La procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, a mis en garde les acteurs politiques guinéens, leur rappelant "que quiconque commet, ordonne, incite, encourage et contribue" à des crimes tels que définis par les statuts de la CPI, "peut être poursuivi par les tribunaux guinéens ou par la CPI".

La Guinée est plongée depuis un an dans une profonde crise. Des mois de mobilisation contre l'éventualité d'un troisième mandat de M. Condé, à plusieurs reprises durement réprimée, ont fait des dizaines de morts civils.

Comme redouté de toutes parts, après une campagne émaillée d'incidents, les esprits se sont échauffés avec la présidentielle.

- "Pyromane" -

M. Diallo, battu par M. Condé en 2010 et 2015, a proclamé sa victoire lundi en se fondant sur les données remontées par ses partisans envoyés dans les bureaux de vote pour ne pas s'en remettre à la commission électorale et à la Cour constitutionnelle, inféodées au pouvoir selon lui. Il revendique 53% des suffrages.

Le pouvoir accuse M. Diallo de souffler sur les braises. Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, le parti de M. Condé, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), traite M. Diallo de "pyromane", et parle "d'appel au meurtre et à la guerre civile" de sa part.

Les fronts n'ont cessé de se durcir à mesure que la commission égrénait chaque soir les résultats d'un certain nombre de circonscriptions.

Jeudi soir, la commission électorale avait communiqué les résultats de 37 des 38 circonscriptions nationales, ne laissant plus de doute sur ce que serait l'issue pour les organes officiels.

Selon l'addition de ces résultats, M. Condé l'emporte avec plus de 2,4 millions des voix sur environ 3,9 millions d'exprimés, distançant très largement M. Diallo (environ 1,2 million de suffrages) et s'assurant une majorité absolue et une réélection dès le premier tour.

"Il est hors de question d’accepter les faux résultats que la Céni (la commission électorale) est en train de proclamer", a dit M. Diallo dans un entretien téléphonique avec l'AFP, de son domicile dont il dit être empêché de sortir par un important dispositif policier.

- Un Front réactivé -

Le parti de M. Diallo dénonce une "fraude à grande échelle". "Quand Alpha a vu qu'il ne pouvait pas gagner, il a mobilisé ses préfets, ses sous-préfets, ses agents dans les régions pour sauver son mandat", a dit M. Diallo.

Il s'est dit ouvert à une médiation internationale.

Les Guinéens s'inquiètent que les derniers résultats attendus de la commission électorale n'enflamment encore les passions.

La Guinée s'est retrouvée vendredi avec un internet fortement dégradé. Netblocks, groupe qui surveille de telles coupures, a expliqué soupçonner l'action de l'Etat guinéen. Il s'agirait de contrôler la diffusion d'informations à un moment critique.

Une telle censure avait déjà été observée en mars à l'occasion d'un référendum constitutionnel et de législatives controversées. M. Condé n'était pas encore officiellement candidat à sa succesion. La nouvelle Constitution visait à moderniser le pays, dit-il. Elle marque l'avènement d'une nouvelle République, qui remet donc, estime-t-il, son compteur présidentiel à zéro et lui permet de se représenter.

Un Front national de la défense de la Constitution, M. Diallo en tête, menait alors la contestation anti-Condé. Il a lancé vendredi un appel à la reprise des manifestations dans tout le pays à partir de lundi "jusqu'au départ du dictateur Alpha Condé".

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 24/10/2020 à 09h44