Maroc: les migrants d'Oulad Ziane se mettent au foot et rêvent de club

DR

Le 23/02/2018 à 12h03, mis à jour le 23/02/2018 à 12h09

A la gare routière d'Oulad Ziane à Casablanca, les migrants ont revêtu leurs tenues de sport et aménagé l'endroit qu'ils occupent pour un match. Certaines rêvent de devenir footballeurs professionnels, quand d'autres veulent simplement se rendre en Europe.

Les ordures ont été déblayées, les mendiants chassés, les joueurs ont enfilé leurs meilleures chaussures, les spectateurs ont quitté leur tente de fortune: le match de foot quotidien peut commencer sur le terrain du campement de migrants d'Oulad Ziane, à Casablanca.

"On s’organise entre communautés, on joue par équipe de cinq ou six sur le terrain, avec des conditions qui ne sont pas à la hauteur, avec la saleté, mais on joue quand même: on joue pour se faire plaisir, pour oublier", explique Djabel Niang.

Tenue orange fluo et dreadlocks afros, ce Sénégalais de 21 ans a quitté Dakar depuis "bientôt deux ans et demi", avec un grand rêve: "arriver à traverser" la Méditerranée et "une fois là-bas, rejoindre le Real Madrid Inchallah", si Dieu le veut.

"Le foot, c'est mon métier", dit-il.

Le campement d'Oulad Ziane, situé près de la gare routière de Casablanca, abrite dans une odeur pestilentielle des migrants subsahariens en route vers l'Europe qui remontent du sud ou se font refouler du nord. Sa population fluctue selon les saisons, son petit terrain de foot est plus ou moins à l'étroit au milieu des tentes. Les différentes communautés - Maliens, Burkinabés, Sénégalais, Ivoiriens, Camerounais et Guinéens- ont chacune leur "président" et leur équipe.

"On s’entraîne tous les jours, chaque soir", explique le milieu de terrain camerounais Chancelin Njike, 25 ans, cheveux ras et voix timide malgré sa carrure athlétique.

Petits tournois

Le match commence après l'échauffement. Les mieux équipés portent de vieux maillots aux couleurs de l'AC Milan, du Real Madrid, de l'équipe nationale marocaine ou du Wydad de Casablanca. Les autres se débrouillent. "C’est pas facile de chercher des habits pour jouer au foot, on n’a pas de travail, pas de famille", souligne Djabel.

Comme tous ceux du campement, il vit au jour le jour et ne veut pas attirer l'attention, surtout pas celle des policiers qui patrouillent en permanence à proximité. Les relations avec les habitants du quartier sont aussi compliquées: certains apportent des habits ou de la nourriture, d'autres "n'aiment pas les migrants" et viennent chercher l'affrontement.

A défaut de sifflet, l'arbitre frappe le sol avec une bouteille en plastique pour signaler les fautes. Le long du terrain, les petits commerces continuent leurs affaires, un cuisinier malaxe de la semoule, un menuisier bricole, des enfants des rues sniffent de la colle.

"Souvent, on organise des petits tournois entre nous pour avoir de l’ambiance, parfois on joue juste pour s’amuser", lance Chancelin, dit "Chancelinho-la-Pioche". Il jouait en troisième division au Cameroun, il a quitté son pays en juin 2015 après un bac sports-études: "c’est mon espoir de pouvoir entrer (en Europe), pour pouvoir m'entraîner, jouer et avoir un bon niveau".

Jouer dans un grand club

Mais Chancelin n'a pas eu de chance. Le récit de son voyage fait trembler sa voix: il a vécu pendant des mois dans une forêt, dans le nord du Maroc, sans réussir à "trouver la faille" pour franchir la haute barrière qui entoure l'enclave espagnole de Melilla. Il a failli se noyer deux fois, il a vu mourir deux de ses amis en tentant de traverser la mer à bord d'un zodiac.

Il y croyait pourtant: deux de ses camarades de l'Académie de football ont réussi à passer et "jouent en France à Nancy". Il voulait "faire comme eux". Mais "c'est trop dur", "il en a assez" et veut rentrer chez lui. "J'ai perdu deux ans de ma vie", dit-il en secouant la tête.

Constand Ndassongue, 19 ans, lui aussi Camerounais, a "fait trois tentatives" pour passer. Son objectif: "pouvoir jouer dans un grand club". "Peu importe le pays, pourvu que je puisse briller", dit celui qui joue en latéral gauche comme le brésilien Marcelo, son idole.

"Quand je ne joue pas, je passe mon temps à faire du sport", explique-t-il. Pour "se maintenir en forme", il court trois fois par semaine "aller-retour jusqu'à la médina", la vieille ville de Casablanca.

Finalement, ce jour-là, l'équipe du Cameroun a été battue par la Guinée par 2-0, après quelques belles occasions manquées. On saura au debriefing d'après match que deux des meilleurs Camerounais sont "en refoulement" à Agadir, déplacés par les forces de l'ordre dans le sud du pays.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 23/02/2018 à 12h03, mis à jour le 23/02/2018 à 12h09