Dans le dédale des rues étroites de l’ancienne médina de Fès, autour de la Zaouia Sidi Ahmed Tijani, à quelques encablures de la Medersa Attarine et de la Qaraouiyine, une foule nombreuse a beaucoup de peine à avancer.
N’eut été l’aspect labyrinthique des passages typiques des villes anciennes d’Afrique du nord, on aurait dit qu’on est à Dakar ou à Bamako ou quelques part encore en Afrique de l’Ouest.
Ce vendredi 31 mai, alors que le muezzin de la Mosquée Qaraouiyine a appelé à la prière, la zaouia s'est vidée des disciples de Cheikh Ahmed Tijani. Les pèlerins, ou "talibés Cheikh", comme ils aiment à s’appeler entre eux prennent d'assaut le lieu de prière du vendredi.
"C’est ainsi depuis une semaine", explique Hamid Sebaï, qui tient une boutique de vente de vêtements traditionnels marocains. Ce marchand fassi était en train de fermer son échoppe pour la prière du vendredi et suppliait alors trois Sénégalaises d’un certain âge de revenir vers 14h30 quand il rouvrira. "Ils sont venus pour la «ziara» de Sidi Ahmed Tijani", déclare-t-il, adoptant le même vocabulaire que les «talibés Cheikh».
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Au sein de la mosquée Qaraouiyine, les Subsahariens de tous âges sont relativement nombreux. Et c’est uniquement en cette période de l’année qu'ils se retrouvent, en nombre, dans la vieille ville de Fès.
En réalité, ces milliers de fidèles de la confrérie tijanie sont venus justement pour célébrer la nuit du Destin, Laylat Al-Qadr, traditionnellement et plus particulièrement célébrée à la 27e nuit du mois de ramadan à Fès. C’est donc l’occasion idoine de se recueillir dans le mausolée de Sidi Ahmed Tijani.
Durant tout l’après-midi de ce vendredi 31 mai, les petites ruelles menant vers la zaouia sont animées par les va-et-vient des fidèles. De temps à autre, un «balek ! Balek !» lancé par un muletier ou le porteur d'une lourde marchandise, qui demande ainsi, selon l'expression consacrée, qu’on lui cède le passage, rappelle aux badauds leur présence dans une ville millénaire.
A l’intérieur de la zaouia, dont la capacité d'accueil n'est que d'un millier de personnes, il y a foule, au moment de la prière d'Al Asr, vers 16h30. De nombreux fidèles se voient contraints de rester au-dehors, n’étant pas parvenus à entrer dans le lieu.
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Les organisateurs, deux Marocains aidés de cinq jeunes fidèles sénégalais, sont débordés, entre les chaussures qu’il faut enlever avant d’accéder à l’intérieur de la zaouia et qui se sont entre-temps perdues, la foule à canaliser et à guider et, surtout, le ftour à prévoir pour plusieurs centaines de personnes qui resteront sur place.
Mais c’est surtout du côté des autorités que le manque d’organisation se fait le plus ressentir. En effet, malgré la foule immense, les forces de l’ordre étaient absentes vendredi. Et samedi, seuls deux agents des forces auxiliaires étaient là, alors que, ramadan et chaleur obligent, les esprits se sont échauffés.
Résultat: deux bagarres en deux jours, entre jeunes de la médina de Fès et des jeunes "talibés" tijanis.
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Il est difficile d'évaluer le nombre exact de pèlerins, mais tous les témoignages concordent pour déclarer qu'ils sont de plus en plus nombreux. Le pèlerinage séculaire qui s'effectuait en toute période de l'année, tant à s’amplifier durant les derniers jours du mois sacré.
Ce ramadan 2019, correspondant à l’an 1440 de l’hégire, semble toutefois être un record, du fait de l’intensification des offres des agences de voyages.
En effet, tout au long de l’année, celles-ci recrutent leur clientèle à coup d’annonces publicitaires dans les radios, voire les télévisions locales. Ainsi, ce propriétaire d'une agence de voyage à Dakar annonce organiser chaque année "un voyage qui permet de faire un circuit allant de Rabat, à Fez en passant par Marrakech pour visiter le mausolée de Cheikh Ahmed Tijani et de ses principaux mokhadams (responsables de la confrèrie)", pour les disciples de ce grand saint soufi de la capitale spirituelle du royaume du Maroc, qui vécut en enseignant sa sagesse au cours du XVIIIe siècle.