Sur les 54 pays du continent africain, une dizaine à peine n’ont pas signé l’accord établissant la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA). Et une seule grande puissance africaine figure dans cette liste de non-signataires, à côté de l’Erythrée, du Burundi, de la Namibie, de la Sierra Leone et du Bénin. Il s'agit du Nigeria.
En effet, la première puissance économique du continent africain, devant l’Afrique du Sud et l’Egypte, selon les derniers classements du FMI et de la Banque mondiale, a fait faux bond au continent.
Le président Muhammadu Buhari a décidé la veille de la réunion de ne pas faire le déplacement à Kigali pour signer l’accord de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA). Et les raisons évoquées en ont surpris plus d’un.
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En effet, l’annulation est justifiée par le fait qu’une partie des syndicats nigérians proteste contre l’accord. En occurrence, le Nigeria Labour Congress (NLC), l’un des plus importants syndicats du pays, se dit craindre les effets négatifs de la ZLECA sur l’économie nigériane. Plus concrètement, il craindrait des pertes d’emplois et du coup le président dit vouloir «poursuivre les consultations avec les acteurs du secteur privé».
Ces craintes sont partagées par certains Nigérians. Ainsi, selon Sola Afolabi, consultant nigérian en commerce international, l’échec des communautés économiques régionales, comme la CEDEAO, est un avertissement à prendre en compte pour la ZLECA.
Toutefois, cette décision ne fait pas l’unanimité au Nigeria. «Je suis surpris qu’un dirigeant africain en ce moment puisse douter ou débattre des avantages de ce qui va être signé ici», a souligné l’ancien président du Nigeria Olusegun Obasanjo.
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Reste que ce n’est pas la première fois que le Nigeria se distingue négativement en matière d’intégration économique. En effet, même au sein de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le régime de Buhari freine le processus de la mise en place d’une monnaie unique régionale qui fait pourtant désormais l’unanimité au sein de la CEDEAO. Le géant nigérian qui pèse plus de 75% du PIB de la région n’est pas emballé.
Lors de la dernière réunion de la task force qui gère ce dossier, Buhari n’a pas fait le déplacement à Accra. Et si les dirigeants de la région ont opté pour la mise en place d’une devise unique à partir de 2020, le Nigeria ne fera pas partie du lot des pays qui opteront pour cette monnaie unique CEDEAO à cette date.
Le gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, qui représentait Buhari à cette rencontre, a justifié la position de son pays par le fait que les pays de la région ne sont pas préparés à l’avènement de la monnaie unique, avant de demander aux pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), partageant l’usage du franc CFA en Afrique de l’Ouest, à présenter une feuille de route de «dissociation» du Trésor français qui garantit encore la convertibilité du franc CFA.
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En clair, le président Buhari émet des réserves quant à la sincérité de ses homologues francophones sur un tel projet. Du coup, il est très probable que ce projet n’aboutisse pas à l’horizon 2020, sachant que le Nigeria pèse presque 75% du PIB de la région.
Par ailleurs, en ce qui concerne l’élargissement de la CEDEAO au Maroc et aux autres pays maghrébins, c’est une partie du patronat nigérian qui semble vouloir freiner le projet sans raison valable.
Autant d’obstacles mis sur les processus d’intégration économique du continent qui commencent à soulever des interrogations sur la volonté réelle des dirigeants nigérians à l’intégration économique du continent.
Reste que pour certains économistes africains, il ne faut pas se précipiter dans la mise en place de la ZLECA. En effet, beaucoup de zones de libre-échange régionales (CEDEAO, SADC, AEC, etc.) n’ont pas donné jusqu’à présent les résultats escomptés. Et du coup, au-delà du processus de ratification de l’accord par les Etats qui risque de prendre des mois voire des années, les mécanismes de fonctionnement de la ZLECA (règles d’origine, institution de règlement des différends, etc.) sont encore loin d’être clarifiés. Ce qui pousse certains à se demander si on n’a pas mis la charrue avant les bœufs.