Mauritanie: la corruption, à chacun sa vision

Me Ahmed Salem Bouhoubeiny.

Me Ahmed Salem Bouhoubeiny.. DR

Le 25/09/2017 à 11h01, mis à jour le 25/09/2017 à 11h04

La corruption fait l'objet d'un vif débat en Mauritanie dans un contexte marqué par l'affaire Ghadda-Bouamattou impliquant divers acteurs de la société (sénateurs, syndicalistes et hommes de médias). Reste qu'entre pouvoir public et opposition, chacun a sa propre vision du phénomène.

Tabou pendant plusieurs années en Mauritanie, le phénomène de la corruption, ce monstre enfanté par une gouvernance immonde et fétide, qui plombe le développement de nombreux Etats africains, est au centre d’un débat de plus en plus vif et animé en Mauritanie.

Un intérêt nouveau qui découle de l’adoption d’une loi anticorruption en juillet 2016. Mais qui est aussi et surtout suscité par le contexte d’une nouvelle affaire pendante devant la justice.

Un dossier à travers lequel les autorités soutiennent la thèse «du démantèlement d’un vaste réseau transfrontalier de corruption» impliquant le richissime banquier, Mohamed Ould Bouamatou, réfugié au Maroc depuis plusieurs années, 14 personnalités issues du Sénat supprimé à la faveur de la consultation référendaire du 5 août 2017, ainsi que des syndicalistes et des acteurs des médias.

Au plan judiciaire, la loi 2016-014 relative à la lutte contre la corruption stipule que «sont punis d’un emprisonnement de 5 à 10 ans et d’une amende de 500.000 à 1 million d’ouguiyas: l’agent public, qui sollicite ou accepte, directement ou indirectement, un avantage indu, soit pour lui-même, ou pour une autre personne ou entité, afin qu’il accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte dans l’exercice de ses fonctions, toute personne, qui promet, offre ou accorde à un agent public, directement ou indirectement, un avantage indu au profit du fonctionnaire lui-même, ou pour l’intérêt d’un autre individu, d’une entité afin qu’il accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte relevant de ses fonctions».

Par ailleurs «lorsque les faits prévus par le premier paragraphe sont commis par des élus, des magistrats, des jurés, des experts, agents des impôts, des Douanes ou du Trésor public, des coordonnateurs de projets, des agents judiciaires, des hauts fonctionnaires ou toute personne nommée par décret ou arrêté ministériel quelle que soit sa qualité, la peine d’emprisonnement passe de 10 à 20 ans, et une amende égale au triple de la valeur demandée ou acceptée, sans qu’elle ne soit inférieure à 5 millions d’ouguiyas».

Erreur sur la cible!

Dans une tribune parue dans la dernière livraison de l’hebdomadaire Le Calame, Maître Ahmed Salem Ould Bouhoubeiny, membre du collectif de défense de Mohamed Ould Bouamatou et des anciens sénateurs, dit «Oui au combat contre la corruption».

Il relève cependant que les autorités «se trompent de cible». Car «Boumatou a offert un billet d’avion à Maalouma (ex-sénatrice, griotte et grande diva de la chanson mauritanienne), 1 million d’ouguiyas à son ami Moussa Samba Sy, directeur de publication du Quotidien de Nouakchott».

Mais pour la toge noire, de tels faits ne sauraient renvoyer à «un vaste réseau transfrontalier de corruption». En fait «pour lutter contre la corruption qui ronge et pille l’économie mauritanienne», on ne doit pas viser les ex-sénateurs, syndicalistes et journalistes qui ne gèrent pas les deniers de l’Etat.

Balisant la voie, maître Bouhoubeiny évoque le cas «des biens publics régulièrement détournés». Il précise qu’il s’agit «d’un don saoudien de 50 millions de dollars», de «la vente» aux nouvelles autorités de son pays de l’ancien directeur des renseignements libyens Sanoussi à 250 millions de dollars, du nouvel aéroport de Nouakchott, de l’extension du Port autonome de Nouakchott, de la construction du port de Tanit, des routes et voiries urbaines, de la nouvelle centrale électrique de Nouakchott, des produits destinés aux boutiques Emel»...

Dans le dernier classement de l’ONG «Transparency International» relatif à l’indice de perception de la corruption, la Mauritanie occupe la place peu enviable de 142e rang sur 176 pays. Un document établi sur la base des données collectées par 12 institutions internationales parmi lesquelles la Banque mondiale (BM), la Banque africaine de développement (BAD) et le Forum économique mondial.

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 25/09/2017 à 11h01, mis à jour le 25/09/2017 à 11h04