Mauritanie: quand l'élite a honte de son identité berbère

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Le 23/11/2016 à 18h02, mis à jour le 23/11/2016 à 18h42

Au moment où le Maroc assume toutes ses identités, arabe et berbère voire africaine, en Mauritanie l'élite a honte de ses origines et aimerait ne conserver que l'arabité. "Chez Vlane", célèbre blogueur mauritanien, dénonce ce complexe des gens qui refusent le terme "arabo-berbère".

Au Maroc, le festival Gnawa d'Essaouira permet de revendiquer les racines africaines d'un royaume synonyme de creuset. Toujours au Maroc, le berbère est devenu une langue officielle. Encore dans ce royaume chérifien, l'identité sahraouie est défendue par le sommet de l'Etat. Mais cela c'est le Maroc, la Mauritanie a choisi une toute autre voie, dénonce Chez Vlane, l'un des plus célèbres blogueurs mauritaniens. Ici, l'élite a honte de ses racines berbères et refusent de fait, l'appelation "arabo-berbère". 

Le débat sur l’identité culturelle est une question récurrente en Mauritanie où cohabitent plusieurs communautés. Les dirigeants politiques ont contribué à entretenir ce débat pour des questions purement politiciennes. Beaucoup estiment qu'il faut "diviser pour mieux régner", critique Chez Vlane. Le terme arabo-berbère pour qualifier la composante maure du pays fait couler beaucoup d’encre.

Pourtant, dans certains pays du Maghreb, l’identité arabo-berbère est clairement assumée. Le roi Mohammed VI, rappelle le blogueur, a consacré un point de l’agenda de la première session ordinaire du Conseil consultatif royal sur les affaires sahariennes au thème: "le hassania en tant que composante de l’identité marocaine".

Une démarche justifiée par le fait "qu’il s’agit d’une question majeure dans le cadre du projet de développement" marocain. Ce dernier "ne pourrait être complet que dans la mesure où il est capable d’accueillir toutes les composantes culturelles de notre identité nationale".

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Une option culturelle stratégique du "grand voisin du Nord avec laquelle la Mauritanie se trouve en net décalage", déplore le blogueur mauritanien.

Celui-ci note avec une pointe d’amertume que "pour le pouvoir mauritanien comme pour une grande partie de l’élite, les racines berbères relèvent de l’histoire ancienne". Beaucoup en ont honte. 

Chez Vlane explique qu’à chaque fois que Samba Thiam, président des Forces progressistes pour le changement (FPC), une des mouvances de la communauté négro-mauritanienne (composante non arabe), parle des arabo-berbères, "les complexés se braquent comme s’ils avaient été insultés ou dénaturés".

Ce complexe mauritanien est unique dans la région. Les peuples berbères du Maghreb sont fiers de leur lignée. Pour rien au monde, ils n’aimeraient être qualifiés d’Arabes. "Entre ceux-là et ceux qui se disent de pur sang arabe, on trouve le monde maghrébin à majorité arabo-berbère", explique le blogueur.

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Partout dans le Maghreb, la berbérité a droit de cité. D’ailleurs, «les pouvoirs arabo-berbères ont fini par tolérer et respecter ceux qui refusent un quelconque lien avec les Arabes, car ils savent qu’ils n’ont pas à rougir de leur culture et de leurs origines.

En Mauritanie, la culture berbère semble n’avoir jamais existé. Du moins, on fait tout pour. Comme on nie l'identité des noirs qui pourrait même constituer la majorité du pays. 

Si cette culture berbère a existé, on essaie de la faire disparaître par tous les moyens. Elle a été arabisée pour la réduire à sa plus simple expression. 

Ce complexe est nuisible à la culture mauritanienne et à la culture arabo-berbère du pays, prévient toujours le blogueur. Car, "chez nous, ce qui fait notre fierté, notre mode de vie, les rites du mariage jusqu’à la mariée qui se fait symboliquement enlever, la liberté de nos femmes et mille autres choses de la vie courante sont de la tradition berbère. A cela s'ajoutent les noms de certaines villes, certains points d’eau qui sont également tirés de la langue et de la culture de ce premier peuple de la région Nord-Africaine. Même le hassania, n'est autre qu'une langue métisse arabo-berbère", explique-t-il.

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Malheureusement, tout ce patrimoine est en train d’être anéanti par "les terroristes de la culture, qui veulent faire de la Mauritanie une île d’arabité tombée du ciel face à une démission collective sur le plan intellectuel et religieux".

Depuis le putsch du 10 juillet 1978, la Mauritanie vit sous la férule de régimes militaires dont les chefs se sont recyclés dans la politique. Durant cette période, plusieurs mouvements "nationalistes" arabes ont fortement investi et même noyauté l’appareil d’Etat, selon l’avis de nombreux observateurs.

"Tout ceci mérite une grande attention et devrait inciter à la réflexion", commente le Pr Gourmo Abdoul Lô, vice président de l’Union des forces de progrès (UFP-opposition). Une manière de dire que ce n'est pas seulement l'identité berbère qui est niée, mais aussi l'africanité de la Mauritanie toute entière, alors que les Haratines, Peulhs, Wolofs, Soninkés sont déjà majoritaires dans le pays. 

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 23/11/2016 à 18h02, mis à jour le 23/11/2016 à 18h42