Sénégal: la Tabaski-téranga, entre religion et tradition

Le président sénégalais lors de l'immolation de son mouton.

Le président sénégalais lors de l'immolation de son mouton. . DR

Le 10/09/2016 à 10h44, mis à jour le 10/09/2016 à 10h55

Au Sénégal, religion et tradition font bon ménage. La Tabaski n’échappe pas à cette règle. Il s'agit d'une fête synonyme de retrouvailles, d'échange et de partage. Chaque tranche d'âge, chaque genre, avec un rôle et une manière d'y participer. Récit de l'aïd el kébir à la sauce sénégalaise.

La fièvre s’est emparée de Dakar, la capitale sénégalaise. Depuis quelques jours, la ville est en effervescence continue. Entre les interminables embouteillages, les foirails de moutons improvisés dans chaque quartier et les marchés pris d’assaut par des milliers de personnes pour les derniers préparatifs, se déplacer à l'intérieur de la capitale sénégalaise est une gageure.

Si cette "tabaskimania" affecte le portefeuille des hommes, les femmes en sont les principales actrices. Ce sont elles qui font l’essentiel des achats: denrées alimentaires, ustensiles de cuisines, habits des enfants, etc. «Je suis complètement épuisée. Je ne sais plus par où donner de la tête entre les courses, la gestion du foyer et mon boulot», explique Safiétou Diallo, sage-femme de son état.

Retrouvailles

Amadou Sow, enseignant dans un collège de Dakar, lui, s’apprête à rentrer au village avec sa femme pour passer la fête en famille. Il ne rate jamais la Tabaski au village. «Tant que je suis au Sénégal je passerai toujours cette fête au village, si Dieu le veut. L’idée de rester à Dakar ne me traverse même pas l'esprit», explique-t-il.

A l’instar de Sow, des centaines de milliers de personnes vont quitter la capitale, qui va progressivement se vider de ses deux millions d’habitants, pour regagner les quatre coins du pays. Ces «résidents», comme on les appelle, se sont installés à Dakar par vagues successives dans le cadre du mouvement d’exode rural consécutive à la grande sécheresse des années 1970 qui a porté un coup d’arrêt à la culture de l’arachide. L’adage qui voudrait que «personne n’habite à Dakar, mais que tout le monde y réside» prend particulièrement du sens pendant cette fête, la plus grande de la communauté musulmane

Donc, pour Sow, Tabaski rime forcément avec retrouvailles. «C’est le seul moment de l’année où tous les habitants du village se retrouvent. Même les émigrés choisissent généralement cette date pour leur séjour annuel au pays», explique t-il. Durant ces moments de retrouvailles, de vieux souvenirs resurgissent entre compères. Une ambiance unique qu’il ne voudrait pas rater. «Si je devrais définir l’esprit Tabaski, c’est sans doute à ces retrouvailles que je pense. Ce sont deux ou trois jours sans sommeil, où on rigole et on mange beaucoup», souligne Sow.

Une journée éprouvante pour les femmes

Pour Safiétou Diallo, en revanche, cette fête est désormais synonyme de lassitude. «Depuis quelques années, je sors épuisée de la fête. Rien que l’idée de «déménager» avec toute la famille au village, pendant quelques jours, me rends malade. Pourtant, il fut un moment, quand j’étais plus jeune, j’aimais bien cette fête, j’adorais «organiser», porter de beaux habits, cuisiner, servir à boire, etc. Bref, plonger dans cette ambiance avait quelque chose de délicieux que j’ai le sentiment d’avoir perdu», dit-elle. Il n’empêche, cette année encore, comme les années précédentes, elle «partira» au village avec son mari et ses trois enfants. «C’est devenu une tradition à laquelle on ne peut plus se soustraire», souffle-t-elle résignée.

Au Sénégal, religion et tradition font bon ménage. Et la Tabaski n’échappe pas à cette règle. D’abord le mouton. Si la religion recommande, pour ceux qui ont les moyens de s’en procurer, d’immoler un mouton, d’où l’appellation de «fête du mouton», il n’est pas exclu, pour ceux qui n’ont pas de mouton, d’immoler une autre bête. Mais au Sénégal, celui qui n'a pas de mouton aura l'impression de n'avoir pas participer à la fête.

Le mouton oui, mais jamais sans les jolis boubous confectionnés par le tailleur qu'on se sera choisi. Le tissu de marque allemande ou hollandaire est d'abord teint au Mali avant d'être réexporté vers la sous-régions. Un célèbre teinturier a d'ailleurs laissé son nom à ces teintures, le Ganila. 

Ainsi, la Tabaski, c’est beaucoup de couleurs et de senteurs et de saveurs qui excitent les sens. Le spectacle en impressionne plus d'un: les femmes en habits traditionnels et les hommes en grands-boubous assortis de babouches –marocaines ou locales– et de chéchias. 

Le jour J

Le jour J, après des semaines de préparatifs, le réveil est matinal. Les femmes, pour qui cette journée est la plus longue de l’année, commence par faire le ménage et préparent les enfants pour la prière de l’Aid vers 9 heures. Au retour, le petit-déjeuner est servi, généralement à base de «lâkh» (bouilli de mil avec du lait caillé).

Ensuite, les hommes s'occupe du mouton. Il est vite dépecé pour permettre au père de famille de rompre son jeûne matinal avec un morceau de foie grillé. De plus en plus, une bonne partie de la viande est aussi grillée sur du charbon. Et là, tout le monde prend une sacrée avance sur le repas. Ce qui fait que le déjeuner est de moins en moins prisé le jour de la Tabaski. Sans doute pour éviter le fameux «coup de corne» du mouton. Entendre par là les problèmes d'indigestion du fait de l’abus de la viande fraîche.

Au village, tous les plats sont réunis sous l’arbre à palabre. C’est le seul jour de l’année pendant lequel tout le monde mange de la viande à satiété. Après le repas, l’après-midi est généralement consacré aux visites de proximité. Chacun fait le tour des concessions pour présenter ses vœux et demander pardon. «Déwénati» (à l’année prochaine) ou «balma akh» (je sollicite ton pardon) sont les mots qui reviennent le plus dans les salamaleks du jour.

Après la prière d'al Asr, vers 17 heures donc, par petits groupes, les enfants font le tour du quartier pour demander le «ndéwénal», c’est-à-dire une quête d'étrennes sous forme l’argent pour faire la fête à leur manière. C’est le moment de la journée où il faut avoir de la petite monnaie. Si c’est au village, ils font le tour des villages environnants. Avec l’argent recueilli, ils se cotisent et achètent du lait et des friandises et prolongent la fête durant quelques jours. Même les femmes mariées s'y mette, plus pour souder les liens sociaux qu’autre chose. Il faut noter que ce sont les deuxièmes ou troisièmes femmes, ayant des positions de petites soeurs qui demande aux premières femmes, même si elles ne partagent pas le même mari. Tous ces échanges de cadeaux et d'honneurs est résumé dans le terme wolof rendu populaire par l'équipe nationale de football: "la teranga". 

Par Ibrahima Diallo (Dakar, correspondance)
Le 10/09/2016 à 10h44, mis à jour le 10/09/2016 à 10h55