Sénégal. Chassés de Dakar, les Francs-maçons se rabattent sur le Congo

Le 19/01/2018 à 11h55

Les 26e Rencontres humanistes et fraternelles africaines et malgaches, qui devaient se tenir à Dakar les 2 et 3 février prochain, ont finalement été délocalisées au Congo, sous la pression des religieux du Sénégal.

C'est finalement au Congo que devrait se tenir la fameuse rencontre entre 600 frères et soeurs maçons, organisée à l'occasion du congrès annuel des Francs-maçons d'Afrique francophone. En effet, l'hôtel King Fahd où devait se dérouler l'évènement a cédé à la pression d'une soixantaine d'associations de la société civile qui se sont notamment mobilisées sur la Toile pour défendre les valeurs sénégalaises. 

Le déplacement de la rencontre vers un pays d'Afrique centrale n'a rien de surprenant. Même si, partout sur le continent, les Maçons sont associés à une organisation diabolique, il ne fait aucun doute que c'est en Afrique centrale qu'ils se sentent le plus à l'aise. En effet, beaucoup d'hommes d'Etat de cette région affichent leur appartenance à la loge maçonnique. Sur Internet circulent des vidéos montrant le président Ali Bongo assister à une cérémonie qui lui est consacrée. Au Sénégal, même si l'opinion publique est convaincue que beaucoup d'hommes influents appartiennent à cette organisation, peu d'entre eux l'assument.

Abdoulaye Wade, une erreur de jeunesse

Pourtant, le fait qu'un pays comme le Sénégal, à 95% musulman, compte ou ait compté des disciples maçonniques reconnus, est un secret de polichinelle. C’est le cas de l’ancien président Abdoulaye Wade qui a confessé avoir fait partie d’une loge maçonnique, avant de la quitter volontairement et définitivement il y a plus de 45 ans. Dans l'hebdomadaire français L'Express qui affirmait qu'il était un Maçon dormant, il avait précisé: "Je ne suis pas dormant mais radié par suite de ma démission volontaire. Le Maçon en sommeil ou dormant est celui qui reste inscrit, donc membre de l'association, mais sans activité. Ce n'est pas mon cas".

Conscient de la polémique que l'article avait soulevé et que son démenti allait raviver, il ne s'était pas arrêté là. "Etudiant à Besançon, j'ai quitté cette ville en septembre 1959, après ma thèse, soutenue le 27 juin 1959, il y a cinquante ans. Lorsque j'étais jeune professeur, un de mes collègues eut souvent à m'entretenir de la maçonnerie", poursuivait celui qui fut président du Sénégal de 2000 à 2012. "Par curiosité, j'y ai adhéré, espérant y trouver des échanges intellectuels de très haut niveau. Ce ne fut pas le cas. J'ai démissionné. Acte m'en a été donné depuis plus de quarante ans", précisait-il. "S'agissant d'une association, au regard de la loi et de ses statuts, on y entre sur sélection, mais on en sort librement. C'est ce que j'ai fait", conclut-il. 

Un aveu qui lui avait valu à l’époque critiques et malédictions. Mais au Sénégal, où l’ancien chef de l’Etat s'est toujours présenté comme un fervent disciple mouride, tout le monde considère cet épisode comme une erreur de jeunesse. 

Blaise Diagne enterré à l'extérieur des cimetières musulmans

Autre personnalité célèbre à avoir appartenu à une loge maçonnique: le premier député noir Blaise Diagne. Sur la page Wikipedia qui lui est consacrée, on peut lire qu'"il est le premier Africain à siéger, dès 1922, au Conseil de l'Ordre du Grand Orient de France. Il bénéficie de ce parrainage jusqu'à sa mort en 1934, tout en étant largement soutenu par les milieux parlementaires auxquels il renvoie, par effet de miroir, l'image du parfait assimilé".

Né musulman sous le nom de Galaye Mbaye Diagne, Blaise a par la suite changé de nom, sans doute pour prouver son assimilation à la culture française. A sa mort, les musulmans n’ont pas voulu de lui dans leurs cimetières. Aujourd’hui, sa tombe est bien visible à l'extérieur du cimetière de Soumbédioune. Si les loges maçonniques sont bien représentées au Sénégal, ses membres n’osent pas déclarer publiquement leur appartenance pour éviter d’être rejetés par le peuple qui ne supporte pas la franc-maçonnerie. 

Quoi qu'il en soit, la tenue d’une telle rencontre à Dakar a mobilisé les défenseurs de la cause religieuse qui ont multiplié les attaques contre les Francs-maçons. Aidés par la magie des réseaux sociaux, l’indignation a vite gagné le pays, et notamment les jeunes et les leaders de l’opposition, qui en ont profité pour s’attaquer au président Macky Sall, qui, selon eux, a permis la tenue d’une telle rencontre à Dakar.

La société civile sénégalaise considère ces rencontres comme une offense à sa conscience. Un combat contre la tenue d’une telle réunion a été portée par les religieux, musulmans et catholiques, qui ont obtenu gain de cause. Les autorités ont interdit l’évènement via le directeur de l’hôtel King Fahd qui a refusé d’accueillir la manifestation. Ces rencontres se tiendront finalement au Congo aux dates prévues.

Par Moustapha Cissé (Dakar, correspondance)
Le 19/01/2018 à 11h55