Si Karim Wade, fils de l’ancien président de la République, Abdoulaye Wade, n'a jamais réussi à obtenir un mandat électif, c'est en partie parce qu'il ne maîtrise pas le wolof ou, à tout le moins, une des langues nationales du Sénégal.
Alors qu’il nourrissait le rêve de succéder un jour à son père à la tête du pays, il avait été sujet à plusieurs attaques.
Entre autres critiques, l’opposition d’alors lui reprochait de ne pas pouvoir s’exprimer correctement en wolof, langue parlée par plus de quatre Sénégalais sur cinq, mais loin d'être la seule langue du pays, qui compte aussi, et entre autres, le pulaar, le sérère, le mandingue, le djola, le soninké, ou encore le baynounk et le pepene.
Aujourd'hui, la pratique de la langue française a tellement reculé que beaucoup d'étrangers peinent à trouver leurs repères linguistiques dans le pays de Léopold Sédar Senghor, qui fut pourtant membre de l'académie française, en plus d'avoir été le guide du Sénégal à son indépendance et le premier président de sa jeune république.
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De fait, les médias internationaux, venus en nombre pour couvrir le scrutin présidentiel de février dernier, s'en sont rendus compte, de sorte que, tour à tour, Radio France Internationale a consacré à cette problématique un de ses reportages, et le quotidien Le Monde a publié une longue interview explicitant cette tendance lourde.
Ainsi, le philosophe et écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop, dans une interview accordée à ce quotidien français, dimanche 17 mars dernier, affirme qu'"au Sénégal, le français a perdu de son pouvoir de séduction". Plus encore, ajoute-t-il, "par exemple, à la télévision, des débats qui commencent en français finissent souvent en wolof".
Selon lui toujours, "le système de scolarisation universelle légué par la colonisation n’a fonctionné qu’en théorie; il a produit une élite minoritaire de plus en plus "larguée", alors qu’il était supposé tirer la société vers le haut".
Boubacar Boris Diop rappelle en outre que des voix s’étaient élevées, avant même l’indépendance du Sénégal, pour faire la promotion des langues nationales.
«Cheikh Anta Diop a traduit en 1954, dans Nations nègres et Culture, des concepts scientifiques et une synthèse par Paul Painlevé de la théorie de la relativité généralisée d'Einstein», a-t-il rappelé.
L’histoire semble aujourd’hui donner raison à ces intellectuels sénégalais. En effet, la maîtrise de la première langue communautaire est devenue un marqueur identitaire chez les jeunes.
De plus, dans certains secteurs comme le transport et le commerce, les langues nationales sont également mieux appréciées que le français.
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Mais selon certains ardents défenseurs du français, leur introduction dans le système éducatif sénégalais risque de poser problème en milieu scolaire et universitaire. «Il sera impossible d’enseigner les sciences dans les langues nationales», soutiennent-ils.
D'après Radio France Internationale, dans un reportage intitulé "la langue française au Sénégal" citant l'Organisation internationale de la francophonie, seul un Sénégalais sur cinq maîtrise aujourd'hui le français. Voilà, de fait, l'échec patent du système éducatif sénégalais, qui fut autrefois une vitrine de la pratique de la langue française en Afrique.
Le débat se pose aujourd'hui avec acuité sur les réseaux sociaux, et les internautes sénégalais sont divisés sur cet épineux sujet qu'est l'adoption des langues nationales comme uniques langues officielles du Sénégal.
Evidemment, si plus de 85% des Sénégalais parlent le wolof, entre-temps devenu langue trans-ethnique, il existe, en fait, une quinzaine d'autres langues vivantes dans le pays. La route pour la formalisation et l'unification de ces langues, toutes aussi légitimes les unes que les autres, risque-t-elle d'être longue?