Afrique. FMI: les lois de finances de la discorde

La directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, et le gouverneur de la Banque centrale tunisienne (BCT), Chedly Ayari.

La directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, et le gouverneur de la Banque centrale tunisienne (BCT), Chedly Ayari.

Le 22/01/2018 à 17h37, mis à jour le 22/01/2018 à 18h06

Les lois de finances de nombreux pays africains sont marquées par des hausses de prix. En cause, assainissements budgétaires et austérité imposés par le FMI. Des remèdes qui sont loin de faire l’unanimité, comme en attestent les manifestations dans de nombreux pays.

Ndjamena, la capitale du Tchad, ressemble aujourd’hui à une ville morte à cause de la grève des transporteurs contre la hausse du prix du carburant. Le Tchad n’est malheureusement pas le seul dans cette situation. Des manifestations contre les hausses de prix ont émaillé de nombreuses villes africaines depuis le début de l’année, et même bien avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi de finances.

En effet, suite à l’effondrement des prix des matières premières et aux bouleversements politiques, de nombreux pays africains ont été lourdement touchés par des crises financières. Du coup, les plus vulnérables ont été obligés de demander le soutien du Fonds monétaire international (FMI). C’est le cas de l’Angola, de la Tunisie, de l’Egypte, du Tchad, du Gabon, du Cameroun, de la Mauritanie ou du Niger.

Sauf que face aux déficits budgétaires et aux inquiétudes liés au poids de la dette, le FMI a prescrit sa thérapie classique aux pays qui recourent à des prêts, en leur imposant l’austérité et des assainissements budgétaires pour compenser les pertes.

Et tirant les conséquences des Programmes d’ajustements structurels (PAS) des années 1980-1990 sur les secteurs sociaux, le FMI invite cette fois-ci les Etats africains à une thérapie moins dure à supporter. Comment? En supprimant les subventions sur de certains produits, les exemptions fiscales, en augmentant certains impôts et en instaurant de nouvelles taxes. A travers ces assainissements budgétaires, le FMI se fixe comme objectif d’assurer la stabilité macroéconomique nécessaire pour réaliser une croissance durable.

Deuxième préconisation: éviter les dévaluations tout en enrobant la formule du concept pratique de «flexibilité du taux de change» dans le seul but de déprécier à petites doses les monnaies des pays africains jugées, presque toutes, surévaluées.

Ces exigences du FMI se traduisent clairement dans les lois de finances de nombreux pays du continent, dans lesquels la hausse des prix a résulté des effets combinés de la suppression des subventions et de la hausse des impôts et des taxes. Le renchérissement du prix de nombreux produits a finalement abouti à la baisse du pouvoir d’achat des ménages. Une situation qui a poussé les populations de nombreux pays à manifester leur colère.

En clair, le FMI demande plus de sacrifices de la part du peuple, qui doit supporter les effets néfastes de ces mesures. D’où les mécontentements dans un certain nombre de pays. Toutefois, face à la détermination des populations, les gouvernements soufflent le chaud et le froid.

Tunisie: hausse des prix et soutien aux pauvres

Après plusieurs années de marasme économique et d'embauches à la pelle dans la fonction publique, le pays est confronté à d'énormes difficultés budgétaires.

Contraint de recourir aux financements du FMI, ce dernier lui impose une cure d’austérité et la mise en œuvre de réformes pour réduire son déficit budgétaire, en contrepartie d’un prêt de 2,4 milliards d’euros sur 4 ans. Après avoir traîné des pieds sur les réformes, le rappel à l’ordre de l’institution de Breton Woods s’est matérialisé dans la loi de finances 2018 par la hausse des taxes sur un certain nombre de produits. Le gouvernement a augmenté la TVA, les impôts sur la téléphonie, l’immobilier, certains droits à l’importation et instauré une contribution sociale de solidarité sur les bénéfices et les salaires.

A travers ces différentes mesures, le gouvernement cherche à renflouer les caisses de l’Etat et à éviter les emprunts au moment où la dette explose. Une goutte qui a fait déborder la vase dans une société victime de la hausse du chômage (taux de 15% officiellement), de la pauvreté et des inégalités.

Déjà éprouvés par la crise et une inflation de 6% qui grève leur pouvoir d’achat, les Tunisiens ont mal supporté cette hausse, même si nombre d’entre eux comprennent qu’il faut encore des sacrifices pour sortir définitivement de la crise.

Ces manifestations ont touché plusieurs villes à la suite d'une campagne lancée en début d’année par le mouvement «Fech Nestannew» («Qu’est ce qu’on attend»). Les pillages et les émeutes ont obligé l’armée tunisienne à se déployer autour d’un certain nombre d’édifices. Durant plusieurs jours, des heurts ont opposé les manifestants aux policiers. Le bilan est lourd avec un mort, de nombreux blessés, aussi bien du côté des manifestants que des forces de l’ordre et environ un millier de personnes arrêtées.

Ces manifestations sont aussi le résultat d’une grogne sociale qui perdure depuis des années, conséquence des mécontentements des lendemains post-révolutionnaires qui ne sont pas enchanteurs.

Toutefois, afin d’éviter que la situation ne dégénère, le gouvernement tunisien, qui avait jusque-là opté pour la fermeté, a décidé de débloquer 170 millions de dinars tunisiens pour soutenir les familles pauvres contre la cherté de la vie. Il s’agit de la mise en place d’un fonds d’urgence qui ciblera 250 000 familles classées pauvres et moyennes.

Tchad: Driss Déby revient sur sa décision de couper les salaires

Touché par la chute des cours du pétrole, le Tchad, à l’instar des nombreux producteurs africains, fait face à un grave problème de financement de son déficit budgétaire. Du coup, le pays a fait appel au FMI qui a proposé une cure visant à réduire les dépenses budgétaires, notamment la masse salariale de la fonction publique, laquelle avait fortement gonflée en conséquence des augmentations de salaires à la faveur de la découverte du pétrole.

Une redistribution des revenus du pétrole qui a fortement bénéficié aux fonctionnaires de l’Etat et qui plombe aujourd’hui le budget. La situation est d’autant plus délicate que le Tchad a vu le nombre de ses fonctionnaires croître fortement, passant de 40.000 à 150.000 personnes en 5 ans, pour une masse salariale annuelle de 368 milliards de francs CFA, soit 30 milliards par an.

A cause des pressions du FMI, le président Idriss Déby Itno a revu la voilure de son gouvernement en réduisant fortement le nombre de portefeuilles à 24 ministres, contre 37 auparavant.

Parallèlement, face à la gravité du déficit, le gouvernement tchadien, qui avait réduit de 50% les indemnités et primes de 40% des agents de l’Etat en 2016, a pris la décision de diminuer fortement les salaires pour réaliser une économie de 30 milliards de francs CFA (45,73 millions d’euros). Le projet consistait en une diminution des salaires de 5% à 45%.

Toutefois, face au tollé des syndicats qui menaçaient le gouvernement de grèves, ce taux a été revu à la baisse. Finalement, le président Déby a abandonné son projet mais pas celui de l’augmentation des prix des carburants. Ainsi, depuis le début de l’année, le litre d’essence est passé de 523 à 570 francs CFA et celui du gasoil de 568 à 590 francs CFA.

Niger: des manifestations «antisociales»

Depuis la découverte du projet de loi de finances 2018, les Nigériens n’ont cessé de manifester leur mécontentement contre leur gouvernement en dénonçant des mesures qu’ils qualifient d’«antisociales». Dirigées par des organisations de la société civile, ces manifestations dénoncent la loi de finances 2018, et son lot d’augmentation des prix, et la mauvaise gouvernance.

Parmi les mesures décriées figurent, entre autres, la création d’une taxe d’habitation, la hausse de l’impôt synthétique de 2 à 5% pour les activités commerciales et de 3 à 7% pour les prestations de services, l’extension de la TVA au transport routier des marchandises et des voyageurs.

La société civile considère que le gouvernement «accentue la pression fiscale sur les couches défavorisées de la population, tout en accordant des cadeaux fiscaux inacceptables à certaines catégories de contribuables, notamment les compagnies de téléphonie et autres marketeurs et promoteurs indépendants du secteur des hydrocarbures».

Soudan: grogne sociale contre l’envolée du prix du pain

La capitale soudanaise a connu une très forte manifestation le 16 janvier dernier face à l’envolée des prix. Les manifestations ont débuté en début d’année en réaction à la décision du gouvernement de ne plus subventionner la farine et de confier les importations de céréales au secteur privé. Une décision qui a entraîné le doublement du prix de la baguette de pain.

Des heurts ont opposé les manifestants, dont notamment des étudiants, aux forces de l’ordre qui ont tiré des gaz lacrymogènes et essuyé des jets de pierres. Les manifestants scandaient «Non à la faim, non aux prix élevés».

Plusieurs étudiants ont été arrêtés et un autre a trouvé la mort, le 7 janvier, au Darfour. Face à cette situation, et pour casser les manifestations, les autorités ont suspendu les cours dans les écoles et les collèges. La colère des autorités, tendues aussi par la crise qui couve avec les voisins égyptiens et érythréens, s’est abattue sur l’opposition et les médias avec de nombreuses arrestations dans leurs rangs.

Le régime a préféré la répression afin d’éviter que les manifestations sanglantes de 2013, lors d’une précédente réduction des subventions sur l’essence, ne se reproduisent. Ces émeutes avaient entraîné des dizaines de morts.

Par Moussa Diop
Le 22/01/2018 à 17h37, mis à jour le 22/01/2018 à 18h06