Au terme de plus de 12 heures de débats et d’un marathon de négociations de dernière minute, le Parlement a clairement rejeté dans la nuit de vendredi à samedi le cabinet proposé par Ennahdha, par 134 voix sur 219.
“Un coup dur pour Ennahdha, réputé le parti le plus puissant du pays”, estime le quotidien La Presse dans un édito, tout en soulignant que “ce n’est pas la fin du mouvement” qui constitue la première force d’une Assemblée morcelée.
“Gouvernement du président en cours de téléchargement”, titre samedi le quotidien arabophone El Maghreb.
Trois mois après les élections, cela augure à nouveau de plusieurs semaines de négociations laborieuses à l’issue largement imprévisible, alors que le pays fait face à d’importants défis sociaux et économiques.
“Réussite pour la démocratie”
Le président Saied a désormais dix jours pour engager des consultations afin de trouver “la personnalité jugée la plus apte” qui aura un mois pour former un gouvernement.
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Il a commencé par recevoir samedi matin le chef d’Ennahdha et président du Parlement Rached Ghannouchi, insistant selon la présidence sur “l’importance du respect de la Constitution”.
Ennahdha, qui ne contrôle que 54 sièges sur 217, “n’a pas pris la juste mesure du message des électeurs”, analyse le politologue Selim Kharrat, de l’ONG Bawsala, observatoire de la vie publique tunisienne. Le parti a eu une stratégie “hégémonique”, bien qu’il ait “perdu la position majoritaire qu’elle avait depuis la révolution”.
Il a ainsi tenté d’imposer des magistrats considérés comme pro-Ennahdha à la tête des ministères régaliens, tels que la Justice et l’Intérieur, braquant ses adversaires.
Le mouvement islamiste a été directement ou indirectement au pouvoir durant la majeure partie des neuf dernières années, depuis la chute du régime de Zine el Abidine Ben Ali. Deuxième force au Parlement en 2014, il avait alors scellé une alliance avec le parti en tête.
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Plusieurs observateurs, et jusqu’au Premier ministre désigné qui a finalement été rejeté, Habib Jemli, ont néanmoins salué “une réussite pour la démocratie tunisienne”, soulignant que le rejet était le signe que les institutions fonctionnaient de façon transparente.
“Ce n’est pas une crise politique, car il y a un parcours institutionnel et démocratique balisé pour la suite”, souligne M. Kharrat.
“Initiative nationale”
En revanche, rien ne permet de prévoir l’issue de ce nouveau round de négociations pour tenter de former une coalition gouvernementale.
Selon Kharrat, “Ennahdha va tenter de garder un pied dans le futur gouvernement, mais cela sera très dur pour eux de peser dans les négociations, surtout si de petits blocs se réunissent” pour lui faire face.
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Vendredi soir, le patron de télévision Nabil Karoui, chef du parti Qalb Tounes, seconde force au Parlement (38 sièges), s’est présenté comme alternative, évoquant une “initiative nationale” fédérant des blocs et partis disparates.
Il a cité les nationaliste arabes de Echaab, les libéraux de Tahya Tounes et du bloc de la réforme nationale, des indépendants. Echaab a rapidement démenti rejoindre une telle alliance.
Karoui, sous le coup de poursuites pour fraude fiscale, avait été battu à la présidentielle par Kais Saied qu’il avait qualifié de “islamo-conservateur renfermé”.
Le président Saied, un universitaire largement élu en octobre et très critique du système parlementaire, est un farouche indépendant qui n’a pas d’allié naturel dans l’hémicycle, et s’est positionné à égale distance des partis.
Mais il est jugé plus proche des formations revendiquant les idéaux de la révolution de 2011, comme Echaab et le Courant démocratique de l’ex-opposant Mohamed Abbou. Il avait tenté de relancer des négociations entre ces formations et Tahya Tounes, le parti du Premier ministre sortant Youssef Chahed lors des négociations récentes.
Si le candidat choisi par Saied échouait à son tour à former un gouvernement, l’heure serait à la dissolution de l’Assemblée, au risque de retarder encore les mesures nécessaires pour juguler l’inflation et le chômage pesant sur les ménages tunisiens.