En Tunisie, 30 ans ferme pour du haschisch: un débat fait rage sur le tout-répressif sur l'usage des drogues

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Le 03/02/2021 à 09h28

La condamnation de trentenaires tunisiens à trente ans de prison pour avoir fumé un joint au Kef, dans le nord de la Tunisie, a relancé le débat sur la stratégie du tout répressif en matière de drogues et suscité des appels à réformer une législation adoptée pendant la dictature.

Peu de prévention, manque d'infrastructures de soin, peines lourdes et peu de sanctions alternatives: chaque année des milliers de jeunes sont incarcérés, avec des effets dévastateurs sur leur avenir.

De telles condamnations se révèlent en effet être très pénalisantes pour trouver un emploi, dans un pays où le chômage touche plus d'un tiers des jeunes.

Les trois hommes ont été jugés coupables le 20 janvier de consommation de stupéfiants dans un lieu public, ce qui constitue une circonstance aggravante, a expliqué dimanche à l'AFP Mohamed Faouzi Daoudi, porte-parole du tribunal.

Un quatrième homme, arrêté lorsqu'il regagnait sa voiture, a été condamné à cinq ans de prison mais n'a pas été écroué, a précisé à l'AFP Molka Bouderbala, leur avocate.

Selon elle, les quatre hommes -un salarié et deux gérants de petits commerces- ont partagé un joint dans un vestiaire désaffecté après un match de football entre amis. Ils avaient déjà été condamnés pour des faits similaires.

Le Parquet a considéré que l'usage du local tombait sous le coup d'un article punissant l'aménagement d'un lieu pour le stockage, la vente ou la consommation de stupéfiants, d'où les lourdes peines infligées.

"Le juge a appliqué de façon aveugle la loi existante", a estimé Me Bouderbala, précisant que ses clients avaient fait appel.

Sur les réseaux sociaux, utilisant le hashtag en arabe "#la prison-non, changez la loi 52", de nombreux internautes se sont élevés contre ces verdicts et des responsables politiques ont commencé à se saisir de la question.

"Couscous connection"

Selon la législation en vigueur, dite loi 52, la détention de drogue à usage personnel est punie d'un à cinq ans de prison et le trafic est passible de dix ans de réclusion. Lorsque ces faits sont commis en bande organisée, ils peuvent entraîner une condamnation à perpétuité.

Cette loi a été adoptée en 1992 lorsque le régime de Zine el Abidine Ben Ali --chassé du pouvoir il y a dix ans-- était soucieux de montrer au monde qu'il appliquait une tolérance zéro face aux stupéfiants, après des soupçons d'implications de proches dans un vaste trafic.

Moncef, frère aîné de l'ancien dictateur, a été condamné cette année-là en France à dix ans de prison par contumace dans l'affaire dite de la "couscous connection", un trafic international de cocaïne et d'héroïne.

"La motivation était avant tout politique --le but n'était pas de chercher à faire diminuer la consommation", souligne l'avocate et ancienne députée Bochra Belhaj Hmida. Elle est favorable à une modification de la loi qui génère, selon elle, "corruption" et "inégalité".

"Les jeunes qui en ont les moyens s'en sortent en payant des policiers", souligne-t-elle, déplorant un manque de volonté politique dû à un mélange de "conservatisme" et d'"ignorance" sur le sujet.

Une réforme limitée a été adoptée en 2017: la possibilité pour le juge de prendre en compte des circonstances atténuantes et de ne pas être obligé de condamner un simple usager à la peine plancher d'un an.

Depuis, les peines pour usage de stupéfiants "sont très souvent des amendes ou du sursis, au moins dans les tribunaux de la capitale", souligne l'avocat Ghazi Mrabet.

Face à la levée de boucliers dans le sillage des trois lourdes condamnations, plusieurs députés ont assuré ces derniers jours être favorables à une nouvelle réforme de la loi 52.

Le Premier ministre Hichem Mechichi, confronté à un fort mécontentement notamment pour la stratégie sécuritaire de son gouvernement face à la crise sociale, a estimé lundi que l'"excès dans la sanction" était contreproductif, appelant à des "peines alternatives" à la prison.

Reste à savoir si le Parlement, très divisé et comprenant de nombreux courants conservateurs, arrivera à concrétiser une réforme.

Pour Me Mrabet, l'urgence est "d'abroger les articles qui prévoient toujours dans certains cas une incarcération pour de simples consommateurs de drogue", et de donner davantage de pouvoir aux juges --en attendant un débat de fond.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 03/02/2021 à 09h28