Onze ministères au total, dont ceux de l'Intérieur, de la Santé et de la Justice, sont en suspens, paralysant l'Etat au moment où le nombre de morts du Covid grimpe en flèche, tandis que les restrictions liées à la pandémie exacerbent la longue déprime économique et sociale.
Dans un pays qui, après la chute de la dictature en 2011, a accouché d'un système politique hybride, ni présidentiel ni totalement parlementaire, le problème est connu.
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Dans sa version 2021, il met aux prises le chef de l'Etat Kais Saied - un indépendant qui a créé la surprise lors de la présidentielle de fin 2019-, le chef du gouvernement Hichem Mechichi, un technocrate désigné en juillet par M. Saied pour former un gouvernement apolitique, et les partis ayant dominé les dernières législatives, fin 2019 également.
- Décret présidentiel? -
Le 16 janvier, en pleine flambée épidémique, M. Mechichi a procédé à un remaniement. Son objectif: rallier les deux principales formations parlementaires --Ennahdha, d'inspiration islamiste, et son allié libéral Qalb Tounes.
Logiquement, les nouveaux ministres ont obtenu la confiance du Parlement le 27 janvier.
Mais c'était sans compter sur l'opposition du chef de l'Etat, en conflit avec Ennahdha et Qalb Tounes.
Reprochant à M. Mechichi un processus inconstitutionnel et le choix de ministres sur lesquels pèsent des soupçons de corruption, Kais Saied a alors usé de ses prérogatives.
Résultat: à ce jour, aucun des nouveaux ministres n'a été convié au palais de Carthage pour prêter serment, et le décret présidentiel censé entériner leur nomination n'a pas été publié.
Certaines critiques de M. Saied font écho à celles de la société civile.
Selon l'ONG anticorruption I-Watch, le futur ministre de la Santé Hédi Khairi est accusé d'avoir utilisé ses réseaux pour entraver une enquête sur son demi-frère, accusé du meurtre d'une personne ayant pénétré chez lui par effraction en 2019.
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Le futur ministre de l'Energie, Sofiene Ben Tounes, proche du chef de file de Qalb Tounes, le magnat des médias Nabil Karoui, est soupçonné d'être lié à un sulfureux contrat de lobbying pour promouvoir la candidature de M. Karoui à la présidentielle.
Youssef Fenira, pressenti au ministère de l'Emploi, est lui accusé d'avoir dissimulé ses liens avec une société rémunérée pour des formations par l'Agence nationale de l'emploi lorsqu'il en était le directeur en 2018, toujours selon I-Watch.
Depuis, en dépit d'échanges de courriers officiels entre MM. Saied et Mechichi, et de la tentative de médiation de la puissante centrale syndicale UGTT, l'impasse persiste.
- "Besoin d'unité" -
Ce n'est pas la première fois que les deux têtes de l'exécutif de la jeune démocratie tunisienne sont en conflit.
Et, en dix ans, pas moins de neuf gouvernements se sont succédé, une instabilité chronique invalidante.
Mais, cette fois, les camps s'arc-boutent sur leurs positions.
Universitaire largement élu en 2019 sur fond de rejet des pouvoirs en place depuis 2011, Kais Saied veut "mettre en échec le système politique", qu'il juge défaillant, dit à l'AFP la politologue Nessryne Jelalia.
Mais "a-t-on les moyens d'un effondrement du système actuellement?".
De son côté, Ennahdha se montre très réticente à l'idée de lâcher ses ministres contestés, afin de ne pas menacer son entente avec Qalb Tounes et éviter une motion de censure contre son chef historique Rached Ghannouchi, actuel président du Parlement.
Ces blocages interviennent "au moment où le pays aurait besoin d'unité" pour faire face à la crise, insiste Michel Ayari, chercheur pour le groupe de réflexion International Crisis Group.
Le tourisme, qui représente 14% du PIB, est à genoux, le PIB pourrait reculer de 9% selon la Banque mondiale, et les départs clandestins vers l'Europe atteignent des niveaux inédits depuis 2011.
La situation politique inquiète marchés financiers et investisseurs, et exaspère les bailleurs de fonds qui ont maintenu la Tunisie à flots, alors que le budget 2021 n'est pas bouclé.
Pour sortir de l'ornière, M. Mechichi a récemment saisi la justice administrative, mais celle-ci a souligné que son avis serait "consultatif".
Reste la Cour constitutionnelle, prévue par la Constitution de 2014 et susceptible de résoudre un tel différend. Mais, six ans ont passé et elle n'est toujours pas sur pied, les partis n'étant pas parvenus à s'accorder sur sa composition.