"Nos hôpitaux ont besoin d'être hospitalisés en urgence!", s'emporte Fethi, un habitant d'El Hamma, ville de 100.000 habitants située à 500 kilomètres au sud de Tunis dans le gouvernorat de Gabès où onze personnes ont succombé au nouveau coronavirus en août. Avec plus de 800 cas de contamination recensés sur la même période.
Un bilan lourd puisque le pays dans son ensemble déplore 80 décès depuis mars et 3.803 cas, selon le bilan des autorités mardi soir.
La Tunisie avait circonscrit la pandémie par des restrictions précoces et drastiques mais le nombre de cas se démultiplie depuis l'ouverture des frontières le 27 juin.
El Hamma, où l'origine de la contagion n'a pas été identifiée à ce stade, est devenue l'un des principaux foyers du pays. Un couvre-feu y est de nouveau instauré.
Lire aussi : Tunisie. Covid-19: la pandémie repart
Même si la plupart des porteurs du virus ne présentent pas de symptôme, les habitants ont paniqué car inquiets de ne pouvoir se faire soigner.
Un hôpital militaire de campagne a été installé le 17 août pour pallier au manque d'équipement et de personnel de l'hôpital local.
"Les militaires ont joué le rôle de Zorro" pour faire face à "la situation catastrophique des hôpitaux publics", estime Fethi, la trentaine.
L'hôpital militaire examine les cas suspects puis transfère les malades nécessitant une hospitalisation vers des établissements de la région.
L'hôpital d'El Hamma ne disposant pas de service de réanimation, ces patients sont notamment transférés à une trentaine de kilomètres à Gabès, chef-lieu d'une région de plus de 400.000 habitants.
Pourtant, là aussi, la situation laisse à désirer: un second médecin réanimateur a rejoint l'hôpital régional en 2019 mais aucun des deux n'intervient dans le service dédié à la maladie Covid-19. Ils se concentrent sur les autres patients.
"Zéro réanimateur"
Pourtant "parmi les seize lits du service de réanimation Covid, seulement deux sont fonctionnels" car il n'y a que deux respirateurs en bon état, déplore Hechmi Lakhrach, directeur de l'hôpital régional de Gabès, craignant une "catastrophe".
Lire aussi : La Tunisie travaille à un vaccin contre le coronavirus
Manque de moyens et d'équipements, difficultés à recruter des médecins et des infirmiers: "Les responsables (au ministère de la Santé) sont au courant mais rien n'a été fait", ajoute-t-il.
Le Dr Hamida Kwas, chef de service de pneumologie de cet hôpital, est inquiète car "le manque d'effectif et de matériels nous épuise moralement et physiquement. Nous avons vraiment peur de ne pas pouvoir assurer la suite".
Outre les seize lits de réanimation, le service Covid-19 compte aussi huit lits classiques qui "sont tous occupés", explique-t-elle. Si l'état d'un patient s'aggrave, "on a zéro (médecin) réanimateur".
La secteur de la santé publique, longtemps considéré comme stratégique, souffre depuis une vingtaine d'années d'un abandon au profit du privé, de problèmes de gestion et de corruption.
Les médecins qualifiés ne manquent pas mais beaucoup partent à l'étranger et les structures de santé sont inégalement réparties dans le pays. Ainsi treize des 24 gouvernorats ont moins d'un lit de réanimation pour 100.000 habitants, selon une thèse récente illustrant la marginalisation des régions du sud et du centre.
"On n'a rien!"
Particuliers et entreprises se portaient déjà à la rescousse de nombreux hôpitaux par des dons, qui se sont multipliés pendant la pandémie.
Lire aussi : Tunisie. Covid-19: couvre-feu dans une ville de l'est après un bond des contaminations
A celui de Gabès, cette générosité a permis de créer dans le service des urgences des salles Covid-19, dédiées à l'accueil en amont des personnes présentant des symptômes ou ayant été en contact avec un porteur du virus.
Mais elles restent inutilisées car elles manquent d'équipements, déplore le docteur Imen Rejeb, chef du service des urgences.
Faute de mieux, ces cas suspects sont examinés dans des boxes d'isolement dépourvus de lits et une salle destinée à la réanimation en attente d'appareillage.
"On n'a pas de source d'oxygène, on n'a pas de moniteur de surveillance, pas de respirateur, pas d'infirmiers, on n'a rien", regrette Mme Rejeb. "Les cas suspects sont hospitalisés avec les malades confirmés", avec le risque de les contaminer.