Aérien: en l’absence de la libération de son ciel, l’Afrique confinée à 2% du trafic mondial

La fragmentation du ciel africain constitue un autre handicap majeur pour les compagnies africaines.

Le 11/12/2025 à 08h03

L’industrie aérienne mondiale devrait consolider son redressement en 2026, portée par la reprise du tourisme international. Selon les projections de l’IATA, les bénéfices nets du secteur atteindraient 41 milliards de dollars en 2026, contre 39,5 milliards en 2025, pour une marge nette stable de 3,9%. Un rythme encore modéré mais qui marque «une sortie durable du choc pandémique».

L’embellie mondiale du trafic aérien de décembre 2025 repose sur un faisceau de facteurs conjoncturels, selon l’IATA (Association du transport aérien international ). La croissance anticipée du PIB mondial, qui devrait remonter graduellement en 2026, selon l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) dans son rapport sur les Perspectives économiques, de novembre 2025, alimenterait une demande toujours vigoureuse dans le transport de passagers.

Dans ce contexte, les différentes sources notent une trafic qui a atteint des seuils historiques avec un taux d’occupation des vols commerciaux qui grimperait à 83,8% en 2026, avec niveau de record qui soutient les recettes et favorise des rendements plus élevés malgré le ralentissement du commerce mondial prévu l’an prochain où seulement 0,5% de croissance, selon l’OMC dans ses prévisions 2025.

Cette pression sur la demande accentue toutefois les tensions sur les capacités disponibles, dans un contexte où les chaînes d’approvisionnement aéronautiques continuent de souffrir de perturbations majeures. L’IATA confirme que les retards de production, la disponibilité limitée des pièces détachées et la lente remise à niveau de la maintenance lourde continueront d’affecter la flotte mondiale en 2026.

Dans ce contexte très volatile, d’autres facteurs sont également d’ordre réglementaire. L’IATA pointe la multiplication des exigences environnementales, en particulier en Europe avec la mise en œuvre du système révisé d’échange de quotas d’émissions (ETS), qui renchérit les coûts opérationnels. À cela s’ajoutent les conflits qui perturbent certaines routes stratégiques— notamment en mer Rouge— ainsi que la saturation croissante de plusieurs plateformes aéroportuaires mondiales, situation confirmée par l’ACI World dans son bilan 2025.

L’Afrique, dans ce tableau global, apparaît en périphérie de la reprise car le continent ne capte que 2% du trafic aérien mondial, un niveau inchangé depuis une décennie, selon l’IATA. Les compagnies africaines restent structurellement déficitaires, alors que leurs rivales du Golfe ou d’Europe occidentale consolident leur avance.

L’exercice 2026 s’annonce particulièrement contrasté pour les transporteurs africains qui généreraient seulement 1,3 dollar de bénéfice net par passager, soit six fois moins que la moyenne mondiale, établie à 7,9 dollars, d’après l’IATA. L’écart devient abyssal lorsque la comparaison s’effectue avec certaines régions spécialisées: le Moyen-Orient devrait afficher un bénéfice record de 28,6 dollars par passager, tiré par la stratégie agressive de hubs internationaux comme Dubaï, Doha et Riyad. L’Europe maintiendrait un niveau solide estimé à 10,9 dollars, malgré ses coûts réglementaires, tandis que l’Amérique du Nord conserverait son leadership structurel à 9,8 dollars.

Cette asymétrie n’est pas nouvelle mais elle s’amplifie. L’AFRAA (Association des compagnies aériennes africaines ) rappelle, dans son «African Aviation Outlook 2025», que les compagnies africaines n’ont enregistré que trois années bénéficiaires depuis 2010. En cause, des coûts opérationnels jusqu’à 30% plus élevés que la moyenne mondiale, imputables aux redevances aéroportuaires, aux taxes multiples sur les billets, aux surcharges de navigation aérienne ou encore aux prix du carburant, qui peuvent atteindre des niveaux 15 à 20% supérieurs à ceux d’autres régions, selon l’AFRAA et l’IATA.

La fragmentation du ciel africain constitue un autre handicap majeur car contrairement à l’Europe ou à l’Amérique du Nord, le continent ne dispose pas d’un marché ouvert, harmonisé et interconnecté. Les restrictions bilatérales ralentissent l’ouverture de lignes directes, empêchent les compagnies de profiter d’économies d’échelle et pénalisent la connectivité intra-africaine. L’initiative du Marché unique du transport aérien africain (MUTAA), lancée en 2018 sous l’égide de l’Union africaine, tarde à produire ses effets ou seuls 37 États sur 54 l’ont formellement adopté, et une part réduite l’applique effectivement, selon la Commission de l’UA concernant le bilan 2025.

La faiblesse du trafic continental est étroitement liée aux dynamiques socio-économiques. Le revenu moyen par habitant, nettement inférieur à celui d’autres régions, limite la demande de voyages aériens. Le billet d’avion demeure un produit de luxe en Afrique subsaharienne, où la part du transport aérien dans la mobilité globale reste marginale. La Banque mondiale estime, dans son rapport Africa’s Pulse d’octobre 2025, que moins de 10% de la population africaine prend l’avion au moins une fois par an, contre plus de 60% en Europe occidentale.

La demande intérieure souffre également de l’offre insuffisante avec seulement 20% des destinations africaines sont desservies par un vol direct intra-africain, selon IATA Economics en 2025. Résultat, se déplacer entre deux pays voisins peut nécessiter un transit par un hub extra-africain, augmentant mécaniquement les coûts et les délais. La compétitivité des compagnies locales s’en trouve affaiblie face aux géants internationaux qui, grâce à des flottes modernes et à une densité de réseau, imposent leurs standards tarifaires.

Si le transport de passagers révèle l’ampleur des retards structurels, le fret dresse un tableau plus nuancé. L’Afrique affiche la plus forte croissance mondiale dans le cargo aérien, avec une progression de 16,6% en octobre 2025 par rapport à l’année précédente, selon l’IATA dans son freight report, novembre 2025. Cette dynamique est alimentée par les exportations florissantes de produits pharmaceutiques depuis l’Afrique du Sud, par l’essor de l’e-commerce au Nigeria, au Kenya et au Maroc, mais aussi par le développement des chaînes logistiques autour des produits périssables — horticulture, produits halieutiques, fruits tropicaux.

La montée en puissance des hubs de fret comme Addis-Abeba, Casablanca, Nairobi et Lagos renforce cette tendance. Les plateformes africaines tirent parti d’une demande croissante en liaisons cargo vers l’Europe, le Golfe et l’Asie, alimentée par la reconfiguration des chaînes d’approvisionnement mondiales et la recherche de routes plus diversifiées.

Cette performance ne compense pas les faiblesses du transport de passagers, mais elle ouvre des perspectives stratégiques pour les compagnies continentales désireuses de consolider leur modèle économique.

Des hubs régionaux en émergence

Le paysage aérien africain reste dominé par quelques acteurs seulement. Ethiopian Airlines, Royal Air Maroc, Kenya Airways et RwandAir concentrent une part importante du trafic continental. Ethiopian Airlines, en particulier, s’impose comme le premier opérateur africain depuis plus d’une décennie ; elle dessert plus de 130 destinations et affiche régulièrement des bénéfices, selon ses états financiers (2024-2025). Le Maroc consolide également son positionnement, porté par la croissance rapide du tourisme et les investissements massifs dans les infrastructures aéroportuaires. Selon l’ONDA en 2025, le Royaume a accueilli plus de 30 millions de passagers en 2024 et projette une capacité de 80 millions à l’horizon 2035, notamment grâce aux projets liés à la Coupe du monde 2030.

Ces hubs émergents portent une ambition continentale: accroitre le trafic intra-africain, capter les flux intercontinentaux, attirer davantage de compagnies et moderniser la flotte. Toutefois, l’analyse économique montre que ces avancées restent insuffisantes face à l’ampleur du retard accumulé.

Les économistes du secteur s’accordent à dire que la libéralisation du ciel africain demeure la clé de voûte d’une transformation durable. Une étude conjointe de l’IATA et de l’UA montre qu’une ouverture totale du marché pourrait générer 155.000 emplois supplémentaires et ajouter 1,3 milliard de dollars au PIB du continent. Pourtant, la résistance politique persiste. Plusieurs États craignent de voir leurs compagnies nationales, souvent sous-capitalisées, submergées par des concurrents régionaux plus robustes.

L’absence d’harmonisation réglementaire complique également les opérations. Les divergences dans les normes de sécurité, les taxes, les autorisations de vols ou les accords de services aériens ralentissent la construction d’un marché intégré. La BAD souligne dans son rapport Africa’s Infrastructure Gap 2025 qu’un avion qui traverse plusieurs pays africains doit s’acquitter en moyenne de frais cumulés nettement supérieurs à ceux enregistrés en Asie ou en Europe.

Les perspectives 2026 confirment que l’industrie mondiale continue de s’éloigner de ses fragilités post-pandémiques tandis que l’Afrique reste confinée aux marges. Les compagnies du continent bénéficieront néanmoins de la vigueur de la demande mondiale, de l’amélioration du fret et de l’urbanisation rapide. Mais les défis demeurent considérables: renouveler une flotte vieillissante, stabiliser les finances, attirer les compétences, investir dans les infrastructures et réduire l’inflation des coûts.

Le rapport de l’IATA rappelle que les revenus mondiaux du secteur devraient dépasser 1 053 milliards de dollars en 2026, une première historique. Le risque est que cette croissance se déroule sans l’Afrique, ou du moins sans qu’elle puisse y capter une part substantielle.

Par Mouhamet Ndiongue
Le 11/12/2025 à 08h03