CAN 2025-Maroc: les primes joueront-t-elles les trouble-fêtes?

En CAN 2023, les joueurs de l'équipe nationale de la Gambie ont boycotté une séance d'entraînement en réponse au non-paiement de leurs primes.

Le 15/12/2025 à 16h05

La Coupe d’Afrique des nations, du 21 décembre 2025 au 18 janvier 2026 approche à grands pas. Si l’organisation et les enjeux sportifs dominent l’agenda, une question ressort en filigrane, celle des primes et de leur redistribution révélatrice des fragilités économiques et de gouvernance qui traversent encore le football africain. Cette CAN 2025 fera-t-elle exception? Le Soudan a déjà ouvert les hostilités.

La CAN n’est pas seulement une compétition sportive, mais constitue aussi un moment de redistribution financière pour des fédérations dont les ressources sont réparties selon plusieurs critères et, dans certains cas, structurellement fragiles pour certaines sélections. Depuis plusieurs éditions, la question des primes cristallise des tensions entre joueurs, dirigeants et autorités publiques dans différents pays. Elle révèle, au-delà des performances sur le terrain, les limites de la gouvernance financière du football africain.

Aujourd’hui, à quelques jours de l’ouverture de la CAN, le sélectionneur de l’équipe nationale soudanaise, Kwesi Appiah voit les démons de la division ressurgir à cause des problèmes de primes. Trot tôt, certes, mais ce mouvement de protestation risque d’être l’effet annonciateur d’une CAN qui pourrait secouée par des questions de primes pour certaines sélections nationales.

L’édition 2025 marque, sur le plan strictement budgétaire, une rupture assumée. Selon les annonces officielles de la Confédération africaine de football (CAF), l’enveloppe globale des dotations financières atteint 32 millions de dollars pour les vingt-quatre équipes qualifiées. Jamais la CAN n’avait mobilisé de tels montants. Le futur champion percevra 7 millions de dollars, le finaliste 4 millions, tandis que les demi-finalistes recevront chacun 2,5 millions. Les quarts de finalistes bénéficieront de 1,3 million de dollars, les équipes éliminées en huitièmes de finale toucheront 800.000 dollars.

Au-delà de ces montants, la nouveauté la plus significative réside dans l’élargissement du dispositif aux sélections éliminées dès la phase de groupes. Les troisièmes de poule toucheront 700.000 dollars, les quatrièmes 500.000.

Cette évolution rompt avec une logique longtemps critiquée pour sa concentration des ressources sur un nombre limité de nations. Elle traduit la volonté affichée par la CAF de rendre la compétition plus inclusive sur le plan économique et de réduire, au moins partiellement, les écarts de capacités financières entre fédérations.

Dans les communications officielles, cette revalorisation s’inscrit dans une stratégie plus large de professionnalisation du football africain, portée par la présidence de Patrice Motsepe. L’objectif affiché est double: renforcer l’attractivité commerciale de la CAN et améliorer la soutenabilité financière des sélections nationales. Pour de nombreux pays, notamment en Afrique centrale et orientale, ces primes représentent une part substantielle du budget annuel des fédérations. Elles servent à couvrir les frais logistiques, les stages de préparation, la rémunération des staffs techniques, voire certains investissements de long terme.

Mais cette initiative financière, aussi ambitieuse soit-elle, se heurte à une réalité institutionnelle persistante. La CAF ne verse pas directement les primes aux joueurs. Les fonds transitent par les fédérations nationales, qui conservent une autonomie totale quant à leur répartition. Aucune règle continentale ne fixe de clé de partage entre joueurs, encadrement technique et investissements structurels. Ce vide normatif constitue l’un des principaux foyers de tensions.

L’expérience des précédentes éditions montre que l’augmentation des montants ne suffit pas à apaiser les conflits. Bien souvent, elle en accentue même la portée. Plus les sommes annoncées sont élevées, plus les attentes des joueurs augmentent, et plus les différends liés à leur versement deviennent visibles. La CAN s’est ainsi construite une réputation paradoxale, mêlant prestige sportif et fragilité organisationnelle.

Test grandeur nature pour 2025

La CAN 2015 en Guinée équatoriale reste emblématique. Après le sacre de la Côte d’Ivoire, le capitaine Geoffroy Serey Dié dénonçait publiquement le non-versement des primes promises. Si les autorités ivoiriennes avaient par la suite confirmé l’octroi de compensations financières, l’épisode avait mis en lumière les zones d’ombre de la gestion fédérale. Deux ans plus tard, au Gabon, la CAN 2017 confirmait l’ampleur du malaise. Le Zimbabwe menaçait de boycotter la compétition faute de garanties financières, tandis que les joueurs de la République démocratique du Congo suspendaient un entraînement pour protester contre des engagements non respectés.

Même les sélections les plus structurées n’ont pas été épargnées. En 2017, le sélectionneur du Cameroun, Hugo Broos, dénonçait publiquement le niveau et les modalités des primes, jugés incompatibles avec les exigences du football professionnel. En 2019, avant la CAN en Égypte, les Lions indomptables retardaient leur départ, exigeant le paiement anticipé de certaines sommes. À chaque fois, les crises suivaient un schéma similaire : médiatisation, négociations d’urgence, intervention des pouvoirs publics, puis retour à la normale sans réforme durable.

La CAN 2023 en Côte d’Ivoire n’a pas fait exception. En Guinée, des joueurs interrompaient brièvement la préparation pour réclamer des primes promises. Au Nigeria, des désaccords financiers faisaient régulièrement surface, malgré les tentatives de déminage des dirigeants. Ces épisodes rappellent que la question des primes dépasse le simple cadre contractuel. Elle touche à la confiance entre joueurs et institutions, et plus largement à la crédibilité des fédérations.

Dans ce contexte, la CAN 2025 organisée au Maroc revêt une portée particulière. L’augmentation historique des dotations constitue un signal fort, mais aussi un test. Elle interroge la capacité des acteurs du football africain à transformer un progrès financier en avancée institutionnelle. La professionnalisation ne peut se limiter à l’accroissement des budgets. Elle suppose des mécanismes de transparence, des engagements contractuels clairs et une reddition des comptes effective.

Par Mouhamet Ndiongue
Le 15/12/2025 à 16h05