Au-delà des faits majeurs dans les domaines politique, musical, cinématographique et de la culture populaire, rarement une année n’aura concentré autant de deuils symboliques, autant de vies dont la trajectoire a dépassé la simple notoriété pour rejoindre le patrimoine commun du continent.
En 2025, l’Afrique a perdu à la fois des bâtisseurs d’État, des voix artistiques majeures, des héros populaires et des pionniers qui avaient ouvert des voies là où il n’y en avait pas.
Au Nigeria, la disparition de Muhammadu Buhari marque l’extinction d’une figure centrale de l’histoire politique du pays depuis plus de quarante ans. Général arrivé au pouvoir par les armes dans les années 1980, puis revenu par les urnes entre 2015 et 2023, Buhari incarna les contradictions de l’État nigérian: autorité et austérité, promesse de discipline et incapacité à éradiquer les fractures structurelles. Sa mort en 2025 ferme définitivement la page d’une génération de dirigeants militaires reconvertis en civils, qui ont façonné l’Afrique post-guerre froide.
Dans le même pays, le football pleure l’un de ses visages les plus iconiques. Peter Rufai, gardien mythique des Super Eagles, champion d’Afrique en 1994, est décédé en juillet. Pour toute une génération, Rufai n’était pas seulement un joueur, mais une incarnation de la fierté sportive nigériane, à l’époque où le continent s’imposait sur les terrains mondiaux avec une audace nouvelle. Sa silhouette plongeant pour arrêter les tirs adverses restera associée à l’âge d’or du football africain.
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Plus à l’Est, c’est le Kenya qui a vu disparaître l’un de ses piliers politiques les plus durables. Raila Odinga, figure centrale de l’opposition, ancien Premier ministre et éternel candidat à la présidence, est mort à l’âge de 80 ans. Sa trajectoire épouse celle de la démocratisation du pays: des luttes contre l’autoritarisme aux compromis fragiles du pouvoir partagé. Avec lui s’éteint une certaine idée de la politique kenyane, faite de résistance, de mobilisation populaire et de rivalités familiales inscrites dans la longue durée.
En Zambie, la mort de Edgar Lungu, ancien président entre 2015 et 2021, a rouvert des plaies politiques encore vives. Son décès, suivi de querelles autour de ses funérailles, a rappelé à quel point la mémoire des dirigeants africains demeure un champ de bataille, même après leur disparition. Lungu, dirigeant controversé, aura laissé une trace, celle d’un homme du pouvoir, mais aussi d’un pays toujours en quête de stabilité institutionnelle.
Très tôt en 2025, le Sénégal pleure la disparition de Madior Diouf, décédé dans la nuit du 22 au 23 janvier à son domicile. L’annonce a été faite par Moustapha Niasse. Né en 1939 à Fimela, Madior Diouf (86 ans) était un éminent professeur de littérature à l’Université Cheikh Anta Diop et un homme politique. Syndicaliste engagé, Madior Diouf a dirigé le syndicat unique des enseignants du Sénégal (Sudes) pendant huit ans.
Muhammadu Buhari, ancien président du Nigéria.
Le Ghana a perdu l’une de ses grandes figures féminines avec la disparition de Nana Konadu Rawlings, ancienne Première dame et veuve de Jerry John Rawlings. Elle ne fut pas qu’une épouse présidentielle car elle incarna une présence politique, sociale et morale dans un Ghana marqué par des décennies de transition. Sa mort a refermé le dernier chapitre vivant d’une époque où le destin du pays se confondait avec celui d’un couple au sommet de l’État.
Mais 2025 ne fut pas seulement l’année des figures politiques. Elle fut aussi celle d’une saignée dans la création africaine. La disparition d’Amadou Bagayoko, du duo malien Amadou & Mariam, a bouleversé bien au-delà du monde de la musique. Aveugle depuis l’enfance, Amadou avait transformé la contrainte en énergie créative, portant la musique malienne sur les scènes du monde entier. Sa voix, mêlée à celle de Mariam, était devenue une signature sonore de l’Afrique contemporaine, ouverte, cosmopolite et profondément enracinée.
Le Mali a perdu la même année un autre monument comme Souleymane Cissé, pionnier du cinéma africain, premier réalisateur d’Afrique subsaharienne récompensé au Festival de Cannes. Ses films avaient donné au continent une langue visuelle, un regard autonome, capable de raconter ses propres histoires sans filtre exotique. Avec lui disparaît l’un des derniers grands artisans de l’âge fondateur du cinéma africain.
En Afrique du Sud, le monde du spectacle a été frappé par la mort de Winnie Khumalo, actrice et chanteuse emblématique de l’afropop sud-africaine. Sa carrière, entamée dans les années 1980, avait accompagné la transition du pays de l’apartheid à la démocratie, en donnant à une génération des chansons, des rôles et des émotions qui disaient l’espoir, la colère et la renaissance.
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Même le sport d’endurance, domaine où l’Afrique excelle, n’a pas été épargné par la disparition brutale de Shewarge Alene, marathonienne éthiopienne de 30 ans, qui a provoqué une onde de choc. Victorieuse du marathon de Stockholm quelques mois avant sa mort, elle incarnait cette nouvelle génération d’athlètes africains qui dominent les compétitions mondiales tout en portant, dans leurs pas, les rêves de millions de jeunes.
À travers ces destins, c’est une cartographie de l’Afrique contemporaine qui se dessine, des présidents aux artistes, des sportifs aux cinéastes, chacun représentait un fragment de la mémoire collective du continent. Leur disparition simultanée, dans une même année, donne le sentiment d’un passage de relais historique, parfois brutal, parfois inachevé.













