Qatar-Afrique: des milliards de dollars annoncés pour une dizaine de pays

Evariste Ndayishimiye, président du Burundi, et Cheikh Al Mansour Bin Jabor Bin Jassim Al Thani, dirigeant d'Al-Mansour holdings du Qatar.

Le 21/08/2025 à 16h33

La méga-tournée de Cheikh Al Mansour Bin Jabor Bin Jassim Al Thani, cousin de l’émir du Qatar et à la tête du conglomérat Al-Mansour qui contrôle 100 holdings, matérialise l’offensive économique de Doha à destination de l’Afrique. Une tournée qui s’appuie sur une manne financière de 300 milliards de dollars dédiés à l’Afrique et à l’Asie.

Le Qatar affiche de nouvelles ambitions en Afrique. L’émirat gazier du Golfe, faiblement présent, économiquement parlant, sur le continent, vient de lancer une offensive économique et diplomatique de grande ampleur.

L’émirat, présent au Rwanda où il détient 49% du capital de RwandAir et 60% dans le nouvel aéroport international de Bugesera en construction dans les environs de Kigali pour un coût de 1,3 milliard de dollars, souhaite désormais marquer sa présence et son influence économique en Afrique.

Jusqu’à présent, le Qatar a préféré endosser le rôle de médiateur dans différents conflits au sein du continent: Djibouti-Erythrée, Darfour au Soudan, conflit politico- militaire interne du Tchad,… et plus récemment, le 18 mars 2025, un coup de maître sur le front diplomatique avec la rencontre entre les présidents congolais et rwandais, Félix Tshisekedi et Paul Kagame, sous l’égide de l’émir Tamim Ben Hamad Al Thani. Doha tente aussi de jouer les médiateurs entre Alger et Bamako, en froid depuis plusieurs mois.

Désormais, le Qatar ne souhaite plus se contenter de ce rôle de médiateur, mais compte aussi sur une influence économique au niveau du continent en y investissant massivement dans divers secteurs d’activité.

Et pour matérialiser cette nouvelle ambition, l’émirat ne compte pas lésiner sur les moyens et s’appuie pour cela sur Cheikh Al Mansour Bin Jabor Bin Jassim Al Thani, cousin de l’émir du Qatar et surtout l’un des principaux cadres de la monarchie qatarie. Il est également à la tête du conglomérat Al-Mansour, riche d’une centaine de holdings et présent dans onze secteurs d’activité (BTP, acier, chimie, hôtellerie…). Un conglomérat doté d’une exceptionnelle manne financière de 300 milliards de dollars issus du fonds d’investissement qatari et dédié à l’Afrique et à l’Asie.

Celui-ci, homme de confiance de l’émir du Qatar, a entamé le 13 août une tournée qui se terminera le 29 du même mois et le mènera dans dix pays africains: RDC, Tanzanie, Burundi, Zambie, Botswana, Mozambique, Zimbabwe, Angola, Gabon et Centrafrique.

Ces pays d’Afrique Centrale, Australe et de l’Est ont en commun d’être riches en ressources minières notamment du cobalt, du cuivre, du lithium, des diamants, des pierres précieuses, des terres rares, et des hydrocarbures (pétrole et gaz). Ils offrent également des potentialités énormes pour des projets divers dont l’agriculture, les infrastructures notamment aéroportuaires, le tourisme…

Le Qatar conscient des enjeux de l’heure promet aux pays africains de «partenariats gagnant-gagnant» avec le slogan: «Bâtir des ponts solides entre Doha et l’Afrique, dans le respect mutuel et l’intérêt partagé». Et à chaque étape, des milliards de dollars d’investissements sont annoncés.

Parmi les étapes de la tournée, la RDC offre les plus importantes potentialités d’investissements de la région, notamment dans le secteur minier. Ce vaste pays, qualifié de «scandale géologique», dispose de très nombreuses ressources minières très demandées dans la cadre de la transition énergétique.

La RDC assure actuellement environ 70% de la production mondiale de cobalt. En 2024, selon l’Institut américain d’études géologiques, la RDC a fourni 76% de la production mondiale de ce minerai essentiel à la fabrication des batteries des véhicules électriques. Ce secteur est jusqu’à présent contrôlé par les entreprises chinoises. L’entreprise chinoise China Molybdenum exploite deux des plus grandes mines de cobalt du monde en RDC (Tenke Fungurume et Kisanfu). Ce minerai suscite désormais la convoitise des Etats-Unis et des pays du Golfe.

Ce n’est pas le seul secteur qui intéresse le Qatar en RDC où on indique que plus de 20 milliards de dollars d’investissements seront mobilisés. Outre le secteur minier qui mobilisera une partie non négligeable de cette enveloppe, le Qatar cible également une quinzaine de secteurs dont l’élevage, le développement urbain, les hydrocarbures, la santé, le BTP, le tourisme, l’agriculture…

On comprend alors l’implication du Qatar dans la résolution du conflit dans l’Est de la RDC. Après avoir accueilli les pourparlers entre les dirigeants de la RDC et du Rwanda avant la signature d’un accord de paix aux Etats-Unis, l’émirat a aussi joué un rôle au niveau des pourparlers entre les groupes AFC-M23 et le gouvernement congolais.

Lors du passage à Lusaka en Zambie de Cheikh Al Mansour Bin Jabor Bin Jassim Al Thani, un accord de partenariat de 19 milliards de dollars a été signé ente Al-Mansour Holdings et l’état zambien en présence du président Hakainde Hichilima. Cet accord couvre les secteurs de la finance, du logement, de l’agriculture, des mines, des transports, des télécommunications et de l’énergie.

Au Burundi, le Qatar a promis des investissements sur le long terme, avec un accent sur les infrastructures, les mines, les banques et services financiers, le tourisme, l’agriculture, la cybersécurité,…

Au Botswana, le Qatar a montré son intérêt pour des investissements dans les minerais (diamant, cuivre, nickel,…) et les hydrocarbures.

Si la RDC va bénéficier de la plus importante enveloppe d’investissements annoncés, pour les autres pays, on avance des montants colossaux compris entre 5 et 10 milliards de dollars.

Parmi les priorités figurent des projets aéroportuaires et des partenariats stratégiques à travers Qatar Airways, comme c’est le cas avec le Rwanda, les hydrocarbures, l’agriculture, le tourisme…

A travers ces investissements, le Qatar souhaite apporter ses compétences aux pays africains, contribuer à la création d’emplois et d’impulser durablement la croissance et le commerce au niveau de la région.

Au-delà, cette visite rentre dans le cadre des rivalités entre pays du Golfe, avec d’un côté l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, et de l’autre le Qatar, qui essayent d’accroître leurs influences au niveau du continent africain. Conscient que la manne pétrolière et gazière finira par se tarir, ces monarchies pétrolières et gazières essayent de diversifier leurs investissements en Afrique qui offre des potentialités et des opportunités énormes d’investissements rentables, malgré les risques élevés dans certains pays.

Au-delà des pays du Golfe, cette tournée s’inscrit dans un contexte de fortes rivalités entre grandes puissances en Afrique. Et bien qu’étant un petit pays par sa taille et sa population, le Qatar souhaite jouer un rôle parmi les plus influents du monde. C’est pour cela que Doha combine stratégies d’investissement et diplomatie active pour inscrire durablement son empreinte au niveau d’un continent où il a, jusqu’à présent, du mal à s’implanter.

Avec cette nouvelle initiative, Doha se positionne comme un partenaire stratégique pour les pays africains en apportant, en plus des capitaux, une vision de développement à long terme.

Le bilan de la tournée de Cheikh Al Mansour Bin Jabor Bin Jassim Al Thani donnera une idée claire sur les perspectives de la nouvelle donne diplomatique et économique que le Qatar souhaite impulser dans ses relations avec l’Afrique.

L’émirat dispose d’énormes ressources dont ceux de son fonds souverain Qatar Investment Authority (QIA), créé en 2005, pour gérer les excédents tirés des revenus pétroliers et gaziers et dont les actifs sont estimés à 557 milliards de dollars.

Par Moussa Diop
Le 21/08/2025 à 16h33