La forte dépendance de l’Afrique vis-à-vis du reste du monde pour se nourrir a été mise à nu avec le déclenchement de la guerre Russie-Ukraine en février 2022. Cette crise ayant entrainé la flambée des prix des hydrocarbures, du fret maritime, des engrais et de nombreux produits agricoles et alimentaires dont les céréales et les oléagineux, a contraient le président de l’Union africaine le sénégalais Macky Sall à faire le déplacement en Russie pour demander à Vladimir Poutine, la levée du blocus imposé aux ports ukrainiens pour permettre les exportations de blé, d’oléagineux et d’engrais. Les deux pays fournissant à l’économie mondiale 30% de son blé, 20% de son maïs et 60% de son huile de tournesol.
Seulement, cette solution est conjoncturelle. Une généralisation des tensions au niveau de la région pourrait carrément entrainer un arrêt total des exportations des deux pays et même au-delà. Ce qui pourrait tout simplement affamer le continent qui dépend encore des importations pour se nourrir.
Partant, de nombreux pays se sont engagés à mettre en place des politiques agricoles et alimentaires à même de réduire leur dépendance de l’étranger. C’est dans cette optique que s’inscrit la démarche de la Banque africaine de développement (BAD) dont l’un des cinq objectifs que s’est assigné sont président est «Nourrir l’Afrique».
Cet engagement a été réitéré lors du sommet de Dakar 2 sur l’Agriculture, co-organisé par le Sénégal et la BAD et qui se déroule dans la capitale sénégalaise, du 25 au 27 janvier 2023 à Dakar, sur le thème: «Nourrir l’Afrique: souveraineté alimentaire et résilience».
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Au cours de cette rencontre, marquée par la présence de 34 chefs d’Etat, 70 ministres, des membres du secteur privé, des agriculteurs et des partenaires de développement, le président de le BAD, Akinwumi Adesina, a annoncé que le «Groupe de la Banque africaine de développement engagera 10 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années pour stimuler les efforts de l’Afrique visant à éliminer la faim et à devenir le principal fournisseur de nourriture pour elle-même et pour le reste du monde». Pour y arriver, il a demandé aux participants «à élaborer des pactes qui apporteraient une transformation alimentaire et agricole à grande échelle dans toute l’Afrique».
Cette annonce intervient après celle relative à la « Facilité de production alimentaire d’urgence » dotée de 1,5 milliard de dollars annoncée en 2022 et visant à aider les pays africains à éviter les impacts négatifs de la guerre Russie-Ukraine.
Malheureusement, comme l’a souligné le président de la BAD, «aujourd’hui, plus de 283 millions d’Africains se couchent le ventre vide. Ceci est inacceptable».
Pour sa part, le président sénégalais Macky Sall, président en exercice de l’Union africaine, a déclaré que «le moment était venu pour le continent de se nourrir en ajoutant de la valeur et en intensifiant l’utilisation de la technologie», expliquant que «de la ferme à l’assiette, nous avons besoin d’une souveraineté alimentaire totale, et nous devons augmenter les terres cultivées et l’accès au marché pour améliorer le commerce transfrontalier».
Parmi les présidents du continent qui ont eu les mots les plus justes figure celui du Kenya, William Ruto, pour qui, «c’est une honte que 60 ans après l’indépendance, nous soyons réunis pour parler de nous nourrir. Nous pouvons et nous devons faire mieux».
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Pourtant, c’est la réalité. Actuellement, de nombreux pays africains font face à des pénuries et à une inflation galopante. L’un des pays le plus affecté n’est autre que la deuxième économie africaine, l’Egypte. Ce pays est le premier importateur de blé au monde avec 13 millions de tonnes de blé importées annuellement. Cette flambée des prix a provoqué une saignée en ressources en devises du pays, lesquelles étaient déjà en baisse après deux années de crise sanitaire. Le pays traverse aujourd’hui une crise économique aiguë avec en toile de fond une flambée des prix consécutive à la hausse des prix sur les marchés mondiaux et à la dévaluation de sa monnaie.
Chez d’autres pays africains, les pénuries de blé, de farine, de semoule, de pâtes alimentaires, d’huiles… ont été constatées. Partout, ou presque, les prix du pain et de nombreux produits alimentaires importés ont augmenté, poussant les Etats à supporter les subventions massives afin d’éviter les explosions sociales, comme ce fut le cas en 2008.
Et si rien n’est fait, la situation risque de se corser davantage les années à venir. Selon les prévisions de la BAD, les importations de l’Afrique en aliments devraient atteindre 110 milliards de dollars d’ici 2025.
Pourtant, il est absolument aberrant que l’Afrique ne parvienne toujours pas à se nourrir. Le continent dispose pourtant de 60% de terres arables non encore exploitées et des ressources hydriques nécessaires pour produire de la nourriture. Mieux, l’Afrique peut transformer localement sa production et ne plus dépendre des importations des produits alimentaires (pâtes, huiles, sucre…). Le problème est tout simplement une question de dirigeants à même de mettre en pratique des stratégies agricoles cohérentes.
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A ce titre, le président de la BAD a préconisé : «nous devons fortement soutenir les agriculteurs en particulier les petits exploitants, dont la majorité sont des femmes, et inciter davantage les jeunes à se lancer dans l’agriculture».
En ce qui concerne la transformation, la BAD table sur les zones spéciales de transformation agro-alimentaires qu’elle contribue à implanter un peu partout au niveau du continent pour créer de la valeur, des emplois et réduire les importations.
Et afin que ce sommet de trois jours se traduise en des actes concrets, les acteurs du secteur public du continent devraient s’engager dans des pactes nationaux de livraison de produits alimentaires et agricoles, créer des réformes structurelles et attirer des investissements du secteur privé. Parallèlement, sachant que le financement est souvent le nerf de la guerre, les gouverneurs des banques centrale africaines et les ministres des finances du continent devraient élaborer des accords de financement pour mettre en œuvre les pactes de livraison de produits alimentaires et agricoles, en collaboration avec les autres partenaires : ministères de l’agriculture, secteur privé, banques commerciales, institution financières, partenaires internationaux…
Une chose est sure, la crise actuelle est une opportunité pour mettre en pratique des stratégies à même de changer radicalement l’agriculture africaine. A défaut, le continent ratera une nouvelle occasion de sortir de sa dépendance alimentaire et hypothèquera encore plus sa marche vers le développement.