La Tunisie vit des jours sombres. Après plus d’une décennie d’espoirs démocratiques nés de la révolution du jasmin, le pays s’enfonce inexorablement dans un climat de peur et de répression. Ces dernières semaines, une succession d’événements a ravivé les inquiétudes d’une société civile déjà étouffée.
Le 5 novembre 2025, le bureau de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) a été notifié d’une ordonnance de suspension de ses activités pour trente jours, mesure qui symbolise la crispation du régime face aux voix critiques. Cette décision a provoqué une onde de choc dans le milieu associatif et parmi les défenseurs des droits humains. Amnesty International, aux côtés de nombreuses ONG tunisiennes, a dénoncé une «atteinte flagrante à la liberté d’association» et un nouvel épisode d’un autoritarisme assumé.
Parmi les figures emblématiques de cette contestation, le constitutionnaliste Jawhar Ben Mbarek, emprisonné pour ses positions critiques, a entamé une grève de la faim totale, refusant nourriture, eau et médicaments. Dans une lettre, il a accusé le président Kaïs Saïed de l’avoir réduit au silence, déclarant «je vivrai libre… ou je mourrai libre.» Cet acte de désespoir illustre la radicalisation du bras de fer entre les prisonniers politiques et un pouvoir inflexible.
Lire aussi : Condamnations en Tunisie: «Les conditions d’un procès équitable n’ont pas été respectées», estime Paris
Quelques jours plus tard, c’est le verdict prononcé contre l’avocat et ancien juge Ahmed Sawab qui a indigné la profession. Condamné à cinq ans de prison et trois ans de mise à l’épreuve à l’issue d’une audience expédiée en sept minutes, sans la présence de sa défense, il incarne à lui seul l’effondrement d’un appareil judiciaire désormais perçu comme un instrument du pouvoir. «Ce qui est enseigné dans les amphithéâtres n’a plus rien à voir avec ce qui se passe dans les tribunaux», a écrit, amer, l’avocat Sami Ben Ghazi sur sa page Facebook.
La dérive judiciaire ne s’arrête pas là. Le témoignage du jeune Elias Chawachi sur les sévices infligés à son père, l’opposant Ghazi Chawachi, et à d’autres figures de l’opposition dans le cadre de «l’affaire de complot», a ravivé le sentiment d’une justice dévoyée, pratiques largement diffusée par la presse devenu quasiment sous surveillance. Selon son récit, les détenus ont été agressés, battus et transférés de force, enchaînés, sans en avoir ne été informés ni leurs avocats prévenus.
Ces pratiques, inimaginables il y a encore quelques années, rappellent aux Tunisiens les heures les plus sombres de l’ère Ben Ali. L’arbitraire, le mépris des droits et la brutalité se banalisent dans un pays jadis cité en exemple pour sa transition démocratique.
La répression dépasse désormais le champ politique. Plusieurs associations ont vu leurs activités suspendues ou restreintes, parmi lesquelles le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), l’Association des femmes démocrates et Nawaat, média d’investigation indépendant. Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a dénoncé une «instrumentalisation des outils administratifs, judiciaires et sécuritaires pour faire taire les voix libres».
Lire aussi : «Nous voulons juste nos droits»: la colère d’un village tunisien après la mort de trois lycéens
Une pétition lancée par un collectif de personnalités nationales réclame l’annulation de ces décisions «injustes» et la fin de la «politique d’intimidation administrative et juridique». Derrière ces fermetures, de nombreux observateurs redoutent une attaque imminente contre l’Union générale du travail de Tunisie (UGTT), principale force syndicale du pays. Une telle confrontation risque d’enflammer davantage une société déjà à bout de souffle.
Sur un autre front, la colère gronde toujours à Gabès, où plus de cent mille manifestants ont protesté contre la pollution industrielle. Ce mouvement citoyen, sans précédent depuis des années, illustre le désarroi social et environnemental d’une population confrontée à la dégradation des services publics, à la crise du système de santé et à l’effondrement du pouvoir d’achat.
Le pays s’enfonce dans une crise économique aiguë, marquée par la pénurie de produits de base, l’endettement croissant et la paralysie des institutions. Les arrestations arbitraires d’hommes d’affaires, sans preuves tangibles, s’ajoutent à la défiance généralisée envers l’État.




