Crise en Ukraine: la sécurité alimentaire, un défi prioritaire de l’Afrique

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Le 21/06/2022 à 19h08

La crise ukrainienne a montré le degré de dépendance de l’Afrique aux importations pour assurer sa sécurité alimentaire. Et la situation est de plus en plus tendue dans de nombreux pays à cause de l'inflation et des pénuries alimentaires poussant des Etats à déclarer l’urgence alimentaire.

Après le Tchad, qui a déclaré début juin «l’urgence alimentaire», c’est au tour du Cap-Vert d’annoncer une situation d’urgence sociale et économique. L'archipel subit lui aussi l’effet de la guerre Russie-Ukraine, qui vient s'ajouter à ceux déjà engendrés au cours de ces deux dernières années par la crise sanitaire du Covid-19. Une décision prise suite à des chiffres inquiétants. Ce sont désormais 9 Cap-verdiens sur 100 qui sont menacés d’insécurité alimentaire, contre à peine 2% début 2020.

Au Tchad, ce sont plus de 5,5 millions de personnes, soit plus du tiers de la population de ce pays enclavé d’Afrique centrale, qui ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence.

En déclarant l’urgence sociale et économique, le Tchad et le Cap-Vert souhaitent obtenir le soutien de la communauté internationale pour faire face à la crise aiguë qu’ils traversent, notamment à l’inflation galopante qui appauvrit de plus en plus de familles et déséquilibre les finances publiques des Etats à cause des sommes colossales affectées aux subventions pour atténuer cette inflation.

Mais, le Cap-Vert et le Tchad ne sont pas des cas isolés. Ce sont presque tous les pays du continent qui font face à des situations d’insécurité alimentaire.

Ainsi, d’autres ne devraient pas tarder à suivre tant la situation alimentaire dans la majorité des pays africains est critique. En effet, dans certaines régions, les impacts de la crise ukrainienne sont venus se greffer à des sécheresses d'un niveau que le continent n’a pas connu depuis plusieurs décennies. C’est le cas particulièrement de la Corne de l’Afrique. Dans certains pays de cette région, depuis fin 2020, il n’a pratiquement pas plu. Selon l’ONU, près de 20 millions de personnes sont menacées par le manque de pluie dans cette zone. Et cette sécheresse touche particulièrement l’Ethiopie, la Somalie et le Kenya.

Seulement, la faiblesse des pluies n’explique pas tout. L’Ethiopie, traversée par plusieurs cours d’eau, n’a pas beaucoup investi dans l’irrigation pour atténuer les effets des sécheresses, comme c’est le cas en Egypte, pays traversé par un seul cours d’eau, le Nil, mais qui n’en demeure pas moins le premier exportateur d’agrumes du continent et parmi les premiers exportateurs au monde.

Outre les pays d’Afrique de l’Est, de nombreux autres pays, dont ceux du Sahel, sont également très affectés par cette insécurité alimentaire, aggravée dans ce cas par les problèmes d’insécurité liés au terrorisme dans cette région.

Dans presque tous les pays africains, les prix des denrées alimentaires ont fortement augmenté, entraînant des flambées inflationnistes. Au Zimbabwe, le taux d’inflation a dépassé les 131,7%, réduisant le pouvoir d’achat déjà faible de la population. Même la zone UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) qui affichait l’un des taux d’inflation les plus bas du continent, enregistre actuellement un taux supérieur à 6%.

Partout, les hausses des prix touchent les produits de base: riz, blé, farine, pain, huile, sucre, maïs... provoquant des pertes de pouvoir d’achat et augmentant le nombre de pauvres au niveau du continent.

Des situations qui ravivent les craintes d’émeutes de la faim que le continent a connu en 2008 et qui montrent que les dirigeants des différents pays africains n’ont pas pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité alimentaire. Et au lieu de reconnaître l’échec des politiques agricoles à assurer une plus grande autosuffisance alimentaire au continent, les dirigeants africains pointent du doigt la crise ukrainienne, poussant l’Union africaine a sollicité, par le biais de son président Macky Sall, la reprise des exportations agricoles et des engrais de la Russie et de l’Ukraine, des pays qui ont beaucoup investi dans l’agriculture au point de peser à hauteur de 50% du blé consommé en Afrique.

Reste que si la guerre Russie-Ukraine explique grandement la flambée des prix, notamment de certaines céréales et des huiles, dont les niveaux des prix ont dépassé ceux qui avaient provoqué les émeutes de la faim de 2008, le problème alimentaire en Afrique reste structurel et demande des réponses qui vont au-delà des appels à l’aide alimentaire. Outre l’effet des changements des modèles de consommation qui font que les Africains consomment de plus en plus de produits et qu’ils n'en produisent pas, ou pas assez, c’est surtout un manque de volonté politique de sortir de cette dépendance alimentaire qui pose problème dans de nombreux pays.

Partant, cette nouvelle crise ukrainienne est une occasion pour les dirigeants des pays africains de réorienter leurs politiques agricoles vers plus de sécurité alimentaire et donc une réelle atténuation de la dépendance du continent aux produits agricoles de base. Les énormes potentialités agricoles (terres arables et cours d’eau), l’utilisation accrue des engrais et des technologies agricoles modernes devraient contribuer à améliorer la productivité et assurer une meilleure sécurité alimentaire du continent.

Malheureusement, une fois la crise actuelle dépassée, les dirigeants privilégieront à nouveau les importations de denrées alimentaires subventionnées par les pays développés qui leur génèreront, en plus, des recettes douanières et ce, au détriment de véritables politiques agricoles à même de leur assurer l’autosuffisance alimentaire à long terme.

Par Moussa Diop
Le 21/06/2022 à 19h08