Après avoir promis de mener "la guerre contre la corruption", le président nigérian Muhammadu Buhari est éclaboussé par un scandale visant l'un de ses proches, après la fuite d'une lettre du secrétaire d'Etat au Pétrole dénonçant des malversations au sein de la compagnie pétrolière d'Etat.
Dans une lettre adressée personnellement au président Buhari mais qui a été dévoilée dans la presse locale, Emmanuel Ibe Kachikwu, dresse une liste de cinq contrats d'une valeur de 25 milliards de dollars "signés sans aucune connaissance ni approbation du conseil d'administration de la NNPC (Nigerian National Petroleum Corporation)".
"Et il y en a beaucoup d'autres votre Excellence", tranche l'auteur de la lettre.
Lui-même occupait le poste de directeur de la société d'Etat en plus de son poste au gouvernement, avant d'être évincé en 2016 par le président Buhari qui y a placé l'un de ses proches, Maikanti Kacalla Baru.
Selon Kachikwu, ce nouveau directeur a réinstauré un "climat de peur", une "non-transparence", et le tribalisme au sein de la NNPC.
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La compagnie pétrolière nationale est historiquement réputée pour être la caisse noire de tous les gouvernements démocratiques ou militaires qui se sont succédé à la tête du premier producteur de pétrole d'Afrique. Une caisse colossale.
Selon Benjamin Augé, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales, "le volume vendu par la NNPC représente plus de 50% du volume total - d'environ 2 millions de barils/jour - produit dans le pays", à travers ses joint-ventures avec les grandes compagnies internationales (Shell, Total, ExxonMobil, Chevron, ENI,..).
Le 'cancer' de la corruption
En 2014, le gouverneur de la Banque Centrale, Lamido Sanusi, avait mis au jour l'un des plus gros scandales de corruption du pays, dénonçant la disparition de 18 milliards de dollars des caisses de l'Etat, entre 2012 et 2013.
Sanusi a été évincé par le pouvoir, mais c'est sûrement ce même scandale, et les accusations de pillages à grande échelle, qui ont fait perdre Goodluck Jonathan à la présidentielle de 2015, face à Muhammadu Buhari, réputé pour sa droiture.
Le président Buhari avait assuré vouloir mettre fin au "cancer de la corruption" et s'était d'ailleurs arrogé le poste de Ministre du Pétrole en plus de son rôle de chef de l'Etat, pour surveiller le secteur lucratif.
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Quasiment toutes les semaines, des comptes sont gelés, des immeubles soupçonnés avoir été mal acquis sont saisis.
Mais ses détracteurs l'accusent de ne viser que des membres du parti adverse en menant "une chasse aux sorcières".
Ce nouveau scandale leur donne un argument de poids. Le secrétaire d'Etat au Pétrole dit avoir tenté en vain de "rencontrer à plusieurs reprises" le président, avant de lui envoyée cette missive.
Pourtant, la lettre explosive de Kachikwu, datée de la fin août, n'a donné lieu à aucune réaction apparante du président nigérian. Le pays n'a eu connaissance des problèmes au sein de la compagnie qu'après sa fuite dans un journal local cette semaine.
'Un homme du Nord'
Directement visé par les accusations, le directeur de la NNPC, Baru, continue d'assumer ses fonctions. "Depuis que Baru a été nommé à la tête de la NNPC en 2016, il n'a eu qu'un objectif: isoler Kachikwu", explique à l'AFP le chercheur Benjamin Augé.
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Les deux hommes n'ont rien en commun. Le Dr Baru, 58 ans, fait partie de la vieille garde musulmane du Nord, tout comme le président Buhari. Ses postes successifs au sein de la NNPC lui ont permis de développer un réseau politique très puissant.
Tout le contraire d'Ibe Kachikwu, originaire du Sud et du secteur privé (diplômé d'Harvard, il était le numéro 2 d'ExxonMobil pour l'Afrique).
Ses efforts pour assainir le secteur avaient été salués à l'époque par les financiers et investisseurs. Mais depuis la nomination de Bahu, un ancien du système, à la tête du NNPC en 2016 tout est bloqué, selon les experts.
"Buhari a placé Baru à la tête de la NNPC uniquement parce qu'il vient du Nord, comme lui", tranche un analyste financier nigérian.
Le PDP (Parti Démocratique Populaire, opposition) a demandé jeudi la suspension immédiate de Baru, et dénoncé "le silence pesant du président Buhari".
Le secrétaire d'Etat Ibe Kachikwu a finalement été reçu vendredi par le président Buhari. A sa sortie, il a lancé un "pas de commentaire" lapidaire à la presse.
"Il est peu probable qu'il soit évincé du gouvernement après cette lettre, cela donnerait une trop mauvaise image aux investisseurs", a commenté l'analyste financier.
"Mais il est sur un siège éjectable pour le prochain remaniement ministériel de 2018, mais au moins il partirait la tête haute, après avoir dénoncé ce qui ne va pas. Car dans le fond, on reste avec le même système corrompu dont Buhari a hérité", ajoute l'expert en pétrole. "Rien n'a changé"