Côte d’Ivoire: la rentrée des «Librairies par terre»

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Le 30/09/2016 à 11h34, mis à jour le 30/09/2016 à 13h13

Bonnes affaires, reproduction illégale, trocs. La rentrée des classes est aussi celle des «librairies par terre», le commerce informel du livre scolaire ancien. Un business florissant en Côte d'Ivoire.

«Je collecte des livres patiemment durant l’année scolaire que j’achète au plus bas prix possible et j’attends la rentrée pour vendre», nous explique Souleymane devant son étal à Yopougon, la plus grande commune d’Abidjan.

Aux abords des écoles, aux grands carrefours de la commune, l’on aperçoit des livres plus ou moins vieux sur des étals en bois, parfois à même le sol. Ce secteur du livre scolaire ancien est un commerce qui se fait visible, surtout entre septembre et janvier, voire février. Une activité qui demande beaucoup de patience.

«A partir de février, les choses ne vont pas bien et on a une présence discrète pour effectuer les achats», confie Souleymane. Des livres sont ainsi patiemment collectés durant l’année via des achats auprès du premier venu. Il est inutile de demander l’origine des livres acquis très souvent auprès de jeunes élèves, généralement durant l’année scolaire.

Maxime, diplômé en quête d’emploi, nous explique que poser des questions n’est pas bon pour les affaires. «On cherche à attirer le maximum de vendeurs et faire le plein de stock pour la rentrée comme c’est le cas actuellement», souligne t-il. Assis devant son étalage à Siporex (une zone bien connue de la commune), il hèle tous les passants.

Mais les prix pratiqués valent-t-ils la peine de se hasarder dans ces lieux? Comme il faut s’y attendre, c’est en chœur que ces commerçants de quelques mois nous assurent vendre à petits prix «pour arranger les parents». «Faux», rétorque un client. «Il faut être vigilant sinon vous allez payer plus cher qu’en librairie», poursuit-t-il.

Il arrive en effet que les prix soient exorbitants, surtout qu’ils se font à la tête du client à travers des techniques bien rôdées. «Quand on a un client, on lui propose un prix de départ et selon sa réaction, on sait s’il a le prix de la librairie ou pas et ça nous permet de mieux négocier», explique Maxime.

Aussi, certains parents ont-ils opté pour le troc à chaque rentrée. «Je préfère venir échanger les livres de l’année dernière avec ceux de la nouvelle classe de mon fils qui va en 4e contre «quelques choses», surtout que son petit frère n’est encore qu’au primaire», souligne Légré. Une pratique qui se répand d’année en année. «Ici on négocie pour avoir notre part tant que ça nous arrange», confirme Souleymane.

Combien peut-il se faire comme revenu? «La recette varie. Entre 20.000 voire trois à quatre fois plus avec la fin du mois d’octobre qui approche», confie Souleymane qui préfère être discret sur ses marges. «Ce qui est sûr c'est qu'on ne vend pas cher donc on ne paye pas les livres chers aussi» ajoute-t-il. Ces vendeurs sont en effet réputés acheter les livres à bas prix. «Je lui ai vendu mon livre de maths de 6e presque neuf à 1.000 francs pendant les vacances et il veut pas me revendre un vieux livre de français à 2.500 francs», se plaint un jeune élève désabusé, qui donne l’impression d’avoir été floué.

Reproduction Illégale

L’autre développement de la filière, c’est la reproduction illégale de livres, une tendance qui s’est répandue avec la multiplication des imprimeries et des cybercafés. Sur la question, l’on se montre moins bavard. «Ça existe mais nous on ne le fait pas ici», lâche Souleymane. Juste quelques mètres plus loin, nous faisons la remarque à un commerçant derrière son étal sur la qualité des romans exposés qui ne sont apparemment pas des originaux, au regard de la qualité approximative de l’impression et la colle qui déborde. «Mon frère, si tu ne veux pas payer laisse mes affaires tranquilles», nous répond sèchement l’homme à la chevelure blanche.

«L’édition des livres n’est pas suffisamment organisée et professionnelle», explique Jérôme Dahi, assistant dans une petite maison d’édition. Jusqu’au début des années 2000 en effet, il n'y avait que quelques imprimeries à Abidjan qui pouvaient imprimer des livres scolaires sur place, sinon l’essentiel les éditeurs se tournaient essentiellement vers l’Occident. Mais à partir de cette période avec l’évolution technologique, on trouve des imprimeries partout et «même une imprimante ou photocopieuse suffit» pour le faire, nous indique-t-il.

Le fait peut être vérifié à la librairie de France, la plus grande enseigne du pays, où on peut retrouver des livres édités et imprimés localement qui présentent une qualité approximative. «Il est donc difficile de faire la différence entre ce qui est légal et ce qui ne l’est pas», déplore Dahi.

En plein cœur du Plateau, le centre des affaires d’Abidjan, ce trafic est même visible. Nous abordons un jeune «libraire ambulant». Un sac au dos, il tient des livres de grammaire, lecture, ou des romans en main, dont le célèbre «Comment se faire des amis» de Dale Carnegie, vendu moitié prix qu’en librairie. "C’est mon boss qui me livre ça à Adjamé (…), je ne sais pas où il prend ça", nous répond-t-il. A partir de 1.000 francs CFA, il propose assez discrètement des romans scolaires à des passants.

«Ce commerce est florissant et nous inquiète, surtout avec ce trafic dont on ne maîtrise pas les contours», s’indigne Dahi. Le livre scolaire reste en effet le principal marché qui fait vivre toute la chaîne du livre en Côte d’Ivoire et le secteur se porte en effet assez mal avec la fermeture de la plupart des grandes librairies de la capitale depuis les années 2000. «Si ce trafic perdure, il y a de fortes chances que «La librairie par terre » finisse par tuer les vraies librairies», conclut Jrérôme Dahi, .

Par Georges Moihet (Abidjan, correspondance)
Le 30/09/2016 à 11h34, mis à jour le 30/09/2016 à 13h13