Dans le paysage complexe de la reprise dynamique du transport aérien africain, la problématique des revenus bloqués demeure une épine financière majeure. Ces fonds, vitaux pour les opérations et les investissements des compagnies aériennes, sont immobilisés par des restrictions gouvernementales sur la convertibilité et le rapatriement des devises.
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Il s’agit de capitaux provenant de la vente des billets d’avion (passagers et/ou espace cargo) ou d’autres activités en monnaie locale dans un pays par une compagnie aérienne étrangère. Des conventions permettent à ces compagnies de rapatrier ces fonds en devises, dollar notamment, vers le pays où est basé le siège de la compagnie.
Soulignons que les fonds bloqués affectent toutes les compagnies, y compris étrangères, opérant dans les pays concernés (ex : Air France, Turkish Airlines, etc.).
Une récente newsletter (page 38) de l’Association des Compagnies Aériennes Africaines (AFRAA), publiée fin juin-début juillet 2025, à l’issue de la 13e Convention des acteurs du secteur aéronautique de l’AFRAA (Association of African Airlines), qui a eu lieu en mai 2025 au Rwanda, révèle des données récentes et une divergence nette entre les pays africains, soulignant à la fois des succès enregistrés par un certain nombre de pays en matière de réduction des fonds bloqués et des reculs préoccupants observés chez d’autres.
Des diminutions tangibles des montants dus
Au palmarès des pays ayant activement réduit le fardeau des fonds bloqués, deux nations se distinguent clairement: l’Algérie et l’Éthiopie. Selon les chiffres consolidés par l’Association Internationale du Transport Aérien (IATA) à fin décembre 2024, ces deux pays ont enregistré des diminutions tangibles des montants dus aux compagnies aériennes.
Bien que les données quantitatives spécifiques de leur réduction ne soient pas détaillées dans la communication de l’AFRAA, la mention explicite de leur succès contraste fortement avec la tendance générale.
Ces résultats positifs suggèrent un engagement au plus haut niveau et une collaboration effective entre les autorités monétaires, les gouvernements concernés et les représentants du secteur aérien pour débloquer des liquidités indispensables.
Cela dit, la vigilance et le dialogue permanents sont de mise, notamment avec l’Algérie, quand on sait que dans un passé très récent, le pays était classé 1er mauvais payeur d’Afrique et 3e mondial.
Le Nigeria mérite également une mention, bien que son cas illustre la volatilité du problème. Abderahmane Berthe, Secrétaire Général de l’AFRAA, souligne lors de l’évènement de Kigali que des «améliorations ont été enregistrées» dans ce pays, lequel «a récemment libéré des fonds».
Cette action ponctuelle, bien que positive, ne doit pas masquer la nature récurrente du défi, comme le rappelle le Secrétaire Général, «les fonds bloqués évoluent d’un pays à l’autre, en fonction de la situation économique et de la disponibilité des devises au niveau des banques centrales». La performance se mesure donc à la durabilité des solutions mises en œuvre.
Siège de la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'ouest (BCEAO), à Dakar. Zone XOF : +73 millions bloqués malgré les hubs majeurs, révélant la pénurie chronique de devises.. DR
Les pays sous forte tension
À l’opposé du spectre, plusieurs zones économiques et pays enregistrent une augmentation alarmante des fonds bloqués, contribuant significativement au stock continental de 1 milliard de dollars fin 2024 (59 % du total mondial selon l’IATA).
La Zone XAF (Cameroun, République Centrafricaine, Tchad, Congo, Guinée Équatoriale, Gabon) subit la plus forte dégradation avec une hausse de 84 millions de dollars. Cette aggravation reflète des tensions sévères sur la disponibilité des devises étrangères (USD, EUR), entravant directement la capacité des compagnies à financer leurs opérations essentielles: approvisionnement en carburant, maintenance, redevances aéroportuaires et billets d’agents.
Le Mozambique, point critique isolé, rejoint ce sommet peu enviable avec une augmentation identique de 84 millions de dollars, exigeant une attention urgente spécifique.
La Zone XOF (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo) suit de près avec +73 millions de dollars, malgré la présence de hubs majeurs comme Abidjan et Dakar. Une dynamique qui révèle une complexification accrue de l’accès aux devises pour les compagnies, étrangères comme locales, dans des zones pourtant stratégiques.
Ces hausses massives en Afrique de l’Ouest et Centrale génèrent des implications économiques profondes. Premièrement, elles menacent directement la viabilité financière des transporteurs. Comme l’ont souligné l’AFRAA et la PDG de RwandAir Yvonne Manzi Makolo, ces fonds bloqués constituent un «frein à la croissance», privant les compagnies de liquidités cruciales pour leurs opérations courantes et limitant drastiquement leurs capacités d’investissement (renouvellement de flotte, développement de routes).
Deuxièmement, la concentration géographique des hausses (XAF/XOF) crée un déséquilibre régional criant, signalant aux investisseurs un risque-pays financier accru. Un phénomène qui décourage le développement de nouvelles liaisons ou l’augmentation de fréquence sur des marchés pourtant dynamiques.
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Troisièmement, l’immobilisation des revenus perturbe les échanges commerciaux intra-africains et internationaux. En entraînant des coûts de transport plus élevés et une fluidité réduite des échanges, elle nuit à la compétitivité économique des pays concernés. Face à ces enjeux, l’AFRAA joue un rôle central via un plaidoyer ciblé.
Comme le précise son Secrétaire Général Abderahmane Berthe, l’association travaille «directement avec les gouvernements et banques centrales» pour accélérer la libération des fonds, bien que le rythme des progrès reste «inégal». Son action continue de dialogue avec les parties prenantes reste vitale pour des solutions durables.
Face à ce paysage contrasté, l’AFRAA joue un rôle pivot. Berthe indique explicitement que l’association «mène des actions de plaidoyer dans les pays où les fonds restent bloqués, travaillant directement avec les gouvernements et les banques centrales pour accélérer leur libération». Il reconnaît que si «ces efforts ont porté leurs fruits dans certains cas», comme au Nigeria, «le rythme des progrès reste inégal».
La vigilance et le dialogue permanents sont donc de mise. «Nous suivons la situation de près et continuons de dialoguer avec les parties prenantes pour trouver des solutions durables», soutient le Secrétaire Général de l’AFRAA.
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En définitive, la bataille pour la libération des fonds bloqués des compagnies aériennes en Afrique est loin d’être gagnée. Si les réductions en Algérie et en Éthiopie, ainsi que les actions ponctuelles au Nigeria, offrent des modèles et des motifs d’espoir, les augmentations très significatives dans les Zones XAF et XOF et au Mozambique soulignent la fragilité économique persistante et l’urgence de mécanismes plus fiables.
La santé financière du secteur aérien africain, clé de voûte de la connectivité et du développement économique du continent, reste intimement liée à la capacité des États à garantir le libre rapatriement des revenus légitimement engrangés par les transporteurs. Le plaidoyer constant de l’AFRAA demeure crucial pour transformer ces lueurs d’espoir en une tendance continentale positive et durable.
Situation des Fonds bloqués des compagnies aériennes en Afrique
Pays / Zone | Tendance principale | Montant (fin 2024) / Évolution | Observations clés |
---|---|---|---|
Éthiopie | Amélioration nette | Diminution significative (montant non précisé) | Collaboration efficace autorités/secteur aérien. Succès cité par l’IATA. |
Algérie | Amélioration nette | Diminution significative (montant non précisé) | Réduction des fonds bloqués. Vigilance et dialogue permanents sont de mise. Dans un passé très récent, le pays était classé 1er mauvais payeur d’Afrique et 3e mondial. |
Nigeria | Amélioration ponctuelle | Libération récente de fonds | Volatilité forte. Progrès réels mais fragiles, liés à la disponibilité des devises. |
Zone XAF | Dégradation alarmante | +84 millions USD | Cameroun, Centrafrique, Tchad, Congo, Guinée Éq., Gabon. Tensions sévères sur devises. |
Mozambique | Dégradation alarmante | +84 millions USD | Point critique isolé nécessitant une attention urgente. |
Zone XOF | Dégradation importante | +73 millions USD | Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo. Complexification d’accès aux devises malgré hubs (Abidjan, Dakar). |
Afrique (Total) | Concentration majeure | 1 milliard USD (59% du total mondial) | Situation globale instable et volatile. Frein majeur à la croissance du secteur. |
Source : Données IATA consolidées fin décembre 2024, rapportées dans la newsletter de l’AFRAA (juin/début juillet 2025).