Avec une flotte réduite de 58% et des délais d’entretien dépassant les 120 jours, le moindre incident technique plonge Tunisair dans un chaos systémique, comme en témoigne le scandale de Nice.
Nice, 30 juin 2025 – 21h00. Un vol Tunisair pour Tunis promettait un retour direct. Vingt-quatre heures plus tard, des dizaines de passagers épuisés, dont des enfants et des personnes âgées, se retrouvaient sur des lits de camp à l’aéroport de Nice, abandonnés par une compagnie muette.
À Orly, même scénario: dix heures de retard sans explication. Des épisodes, loin d’être isolés, qui cristallisent l’effondrement d’une entreprise nationale tiraillée entre des restructurations théoriques et une réalité opérationnelle chaotique.
«Aucun message clair, aucune prise en charge digne», déplorent plusieurs passagers. Ce récit des passagers de Nice est un cas d’école de rupture contractuelle et managériale. L’absence totale de communication viole les principes fondamentaux du droit aérien (Convention de Montréal) et des droits des consommateurs. Comme le souligne un voyageur, «on paie cher pour être traités comme du fret». La non-assistance, le défaut d’information et l’incapacité à gérer l’hébergement ou la réorganisation des vols démontrent un abandon systémique.
Un communiqué du chef de l’État tunisien datant de mars 2025 enfonce le clou, affirmant que «ni les conditions à bord des avions ni le respect des horaires de départ et d’atterrissage ne sont acceptés», ajoutant que les services pourraient être bien meilleurs qu’ils ne le sont aujourd’hui. Alors que le gouvernement tunisien déploie un «plan de restructuration en profondeur» axé sur la «modernisation de la flotte» et l’«amélioration de l’expérience client» la réalité révèle une inertie opérationnelle criante.
La réduction des effectifs (-9% via les départs à la retraite) et la hausse des charges salariales (+4%) n’ont pas amélioré l’efficacité. Pire, le Président Kaïs Saïed dénonce en mars 2025 des «recrutements basés sur le favoritisme et le clientélisme», sapant la compétence technique et la motivation des équipes.
Des indicateurs économiques en trompe-l’œil ?
Est-ce à dire que les résultats du premier trimestre 2025 de Tunisair masquent une réalité opérationnelle catastrophique derrière une façade de stabilité financière? En effet, la hausse marginale de 1,3% du chiffre d’affaires (323,4 millions de dinars) contredit la baisse de 4% du nombre de passagers (495.195 voyageurs), révélant une distorsion comptable.
Lire aussi : Aéroports. Les raisons qui poussent les pays d’Afrique à en construire de nouveaux et à agrandir les anciens
Une apparente résilience qui s’explique en partie par la baisse de 19% des coûts de carburant– résultant d’une réduction de 9,1% des volumes consommés et d’une baisse de 11,7% des prix unitaires– et par une hausse du taux de remplissage (+3,8 points à 74,3%), indicateur que l’on pourrait qualifier de «biaisé» par la réduction drastique de l’offre.
Comme l’a confirmé le président Saïed, la flotte est passée de 24 à seulement 10 appareils, créant une saturation statistique tout en fragilisant structurellement le réseau. Une stratégie d’optimisation financière à court terme qui ignore un risque systémique criant: les délais d’entretien «pharaoniques» (123 jours contre 10 chez les constructeurs, selon le Président Kaïs Saïed) et la marge opérationnelle nulle qui transforment tout aléa technique– comme par exemple un avion bloqué à Tunis– en effondrement en chaîne. Une situation qui explique aisément ce qui a provoqué le chaos à Nice le 30 juin 2025.
Ainsi, en sacrifiant la robustesse opérationnelle sur l’autel des indicateurs, Tunisair a construit une maison de cartes où chaque retard génère des coûts cachés (indemnités, perte de clientèle) qui annulent les gains comptables et accélèrent la spirale de dégradation.
Le silence qui tue
«Tunisair ne communique pas. Ne s’excuse pas. Ne réagit pas», déplore plus d’un. Disons que l’immobilisme de Tunisair face aux retards massifs incarne un triple échec de gouvernance, exacerbé par une culture du déni institutionnalisée. Malgré le plan de sauvetage présidentiel exigeant des «mesures urgentes à tous les niveaux» et les promesses de restructuration, aucun dispositif de crise opérationnel n’est déployé. Le silence devient alors un outil politique, transformant l’usager en variable d’ajustement.
Lire aussi : Ethiopian Airlines et la Banque africaine de développement s’allient pour un méga projet d’aéroport
Chaque heure de retard sans explication creuse ainsi un déficit de légitimité qui dépasse la sphère aérienne, érodant la crédibilité de la compagnie. La communication de crise, pourtant pilier de la restructuration annoncée, reste lettre morte, révélant que les réformes se heurtent à des résistances systémiques bien plus profondes que les seuls défis techniques.