Aide au développement: entre suppression et augmentation, quels impacts sur les pays africains des décisions suédoise et norvégienne

Une réorientation stratégique qui a des conséquences opérationnelles immédiates pour l’Afrique.

Le 12/12/2025 à 10h21

Les récentes décisions divergentes de la Suède et la Norvège, deux pays scandinaves voisins, soulignent les arbitrages difficiles auxquels sont confrontés les donateurs dans un monde en crise: prioriser une urgence géopolitique immédiate contre le maintien d’un engagement dans des crises chroniques, souvent négligées.

De récentes annonces de la Suède et de la Norvège concernant leurs politiques d’aide internationale tracent deux trajectoires qui méritent d’être analysées avec des implications majeures pour plusieurs pays africains. Des décisions, prises à quelques jours d’intervalle, qui révèlent les priorités stratégiques divergentes des deux pays face à un contexte mondial de crises multiples et de ressources limitées, et qui mettent en lumière le sort d’un certain nombre de nations africaines.

Ainsi, le 8 décembre 2025, la Suède a annoncé une décision radicale: la fin progressive de son aide au développement bilatéral envers cinq pays, dont quatre africains– Zimbabwe, Tanzanie, Mozambique et Liberia. Un retrait qui vise à libérer au moins 10 milliards de couronnes suédoises (SEK) en 2026, soit 1,1 milliard de dollars américains, pour soutenir l’Ukraine, confrontée à une pression intense sur les fronts militaire et diplomatique. «Nous sommes à un point crucial de l’histoire de l’Europe. Pour augmenter le soutien à l’Ukraine, nous devons prendre des décisions de priorité difficiles», explique Benjamin Dousa, ministre suédois de la Coopération internationale et du Commerce extérieur.

Une réorientation stratégique qui a des conséquences opérationnelles immédiates pour l’Afrique. A commencer par la fermeture d’ambassades. Les représentations diplomatiques suédoises au Liberia, au Zimbabwe et en Bolivie (pays d’Amérique du Sud) fermeront leurs portes, signalant un repli significatif de la présence bilatérale suédoise et marquant une réduction de l’empreinte diplomatique directe.

La Suède souligne, tout de même, que les relations diplomatiques seront maintenues via une accréditation multiple depuis d’autres pays des régions concernées. Cela suggère une relation désormais principalement gérée à distance, centrée sur des «intérêts communs en matière de commerce et de politique étrangère» plutôt que sur un partenariat de développement approfondi.

Le gouvernement suédois insiste également sur le fait que son aide humanitaire, dont il reste l’un des plus grands donateurs mondiaux, n’est pas affectée par ce retrait. Un maintien de l’aide humanitaire qui atténue l’impact immédiat mais qui signale une relation transformée, moins ancrée dans le développement à long terme avec ces nations. L’aide au développement à long terme dans le monde reste également une priorité affichée, bien que redirigée.

Le Mozambique et la Tanzanie, bien que perdant leur aide bilatérale au développement, ne verront pas de fermeture immédiate d’ambassade suédoise sur le sol. Ce qui indique peut-être une relation jugée stratégiquement plus importante ou des modalités de coopération résiduelles différentes.

Contrastant fortement avec l’approche suédoise, la Norvège a annoncé le 2 décembre 2025 une augmentation significative de son soutien au Fonds Central d’Intervention d’Urgence des Nations unies (CERF), avec une allocation de 450 millions de couronnes norvégiennes (NOK), soit 45 millions de dollars américains, prévue pour 2026 et un supplément de 20 millions NOK en 2025 (2 millions de dollars), soit un total de 470 millions de NOK (47 millions de dollars). Ce fonds est crucial pour répondre rapidement aux crises humanitaires aiguës partout dans le monde, y compris dans les «crises oubliées» où le financement est rare.

Quid de la Norvège ?

Entendez par «crises oubliées» des situations humanitaires graves (guerres, conflits persistants, catastrophes climatiques) où les besoins vitaux des populations vulnérables sont exacerbés par un double déficit: un financement humanitaire mondial insuffisant et une faible couverture médiatique internationale, les reléguant dans l’ombre des crises plus médiatisées.

Le ministre norvégien de la Coopération au développement, Åsmund Aukrust, souligne l’importance vitale de ce mécanisme flexible. «Le CERF est l’un des mécanismes les plus importants dont nous disposons pour fournir rapidement une aide vitale et une protection aux personnes qui en ont le plus besoin, où qu’elles se trouvent». Soulignons que cette augmentation intervient dans un contexte alarmant. Les besoins humanitaires dans le monde continuent de croître tandis que le financement mondial diminue.

L’Afrique est au cœur des préoccupations du CERF et donc de la contribution norvégienne. En 2025, les cinq principaux bénéficiaires du CERF étaient le Soudan, l’Afghanistan, la République démocratique du Congo (RDC), la Palestine et le Tchad. Trois de ces pays prioritaires sont africains, soulignant l’accent mis par le fonds, et donc indirectement par la Norvège, sur les crises continentales majeures, souvent sous-financées.

La stratégie humanitaire norvégienne, soutenue via le CERF et d’autres canaux, met l’accent sur la protection des civils. Le ministre norvégien de la Coopération au développement rappelle avec force les défis. «Dans de nombreux conflits actuels, des exactions systématiques sont commises contre les civils et les parties au conflit violent leurs obligations juridiques internationales en toute impunité». Cela concerne directement des pays comme le Soudan, la RDC ou le Tchad, cités comme bénéficiaires majeurs.

Ainsi, ces annonces illustrent deux réponses scandinaves distinctes à la pression sur l’aide internationale.

Contrairement aux pays cités plus haut, le Maroc, pays à revenu intermédiaire supérieur avec une économie diversifiée (énergies renouvelables, tourisme, automobile), ne figure pas parmi les bénéficiaires traditionnels de ces aides ciblées sur les nations à faible revenu ou en crise aiguë. Cela reflète sa trajectoire de réduction progressive de la dépendance à l’aide au développement, au profit de partenariats commerciaux et investissements directs (FDI).

Pour ce qui est du Liberia, le Zimbabwe, le Mozambique et la Tanzanie, la fin de l’aide bilatérale au développement suédoise représente une perte de financement spécifique et potentiellement un signal négatif pour d’autres donateurs. La fermeture des ambassades suédoises au Liberia et au Zimbabwe réduit leur visibilité diplomatique directe à Stockholm et pourrait compliquer certains échanges. Ces pays devront compter davantage sur d’autres partenaires, sur l’aide humanitaire maintenue, et sur la promesse suédoise d’une relation recentrée sur le commerce et les intérêts politiques communs dont les modalités restent à définir.

Pour ce qui est du Soudan, la RDC, le Tchad et d’autres pays en crise, l’augmentation norvégienne au CERF est une bouffée d’oxygène. Elle renforce la capacité du fonds à intervenir rapidement dans ces contextes critiques où les besoins explosent.

Les conséquences opérationnelles des récentes réorientations suédoise et norvégienne

PaysImpact suédoisImpact norvégienStatut diplomatique/Opérationnel
ZimbabweFin de l’aide bilatérale au développement-Fermeture de l’ambassade suédoise
LiberiaFin de l’aide bilatérale au développement-Fermeture de l’ambassade suédoise
MozambiqueFin de l’aide bilatérale au développement-Ambassade suédoise maintenue (pas de fermeture)
TanzanieFin de l’aide bilatérale au développement-Ambassade suédoise maintenue (pas de fermeture)
Soudan-Bénéficiaire prioritaire du CERFSoutien via mécanisme multilatéral
RDC-Bénéficiaire prioritaire du CERFSoutien via mécanisme multilatéral
Tchad-Bénéficiaire prioritaire du CERFSoutien via mécanisme multilatéral

Sources: Ministère des affaires étrangères de la Suède; Ministère des affaires étrangères de la Norvège.

Par Modeste Kouamé
Le 12/12/2025 à 10h21